Le journal de bord de Sébastien du Samusocial (22 mars) : “Éviter la débandade”
Sébastien est directeur du (nouveau) Samusocial. Il partage avec nous quelques extraits de son quotidien et de celui des équipes de terrain, ces travailleurs de l’ombre qui vivent en première ligne le défi actuel : rester présents pour aider les personnes sans abri alors que l’épidémie de Covid-19 a complètement bouleversé l’organisation des activités du dispositif d’aide.
Même SoFoot n’a plus rien à raconter de distrayant. Il faut envisager des dimanches sans Téléfoot (bon c’est vrai plus personne ne regarde de toute façon, donc ça compte pas), sans « Match of the Day », sans le RSCA. Et dire que sans le coronavirus, Anderlecht serait déjà en Playoffs 1. Je me suis toujours dit que la vie sans foot serait différente. Mais là, je réalise le vide laissé par l’absence de match. Le foot permet aux mecs comme moi d’assumer d’être cons. Et ça fait un sacré bien.
Car au-delà de ça, les nouvelles sont mauvaises d’où qu’elles viennent (on dirait Stephan Eicher, mais qui connait encore Stephan Eicher ?). Impossible de déjeuner en paix. Les renforts injectés la semaine dernière se révèleront vite insuffisants pour maintenir nos activités à flot. Les mesures de protection sont trop légères. L’angoisse monte au sein de nos équipes. Je doute de pouvoir continuer à les maintenir au travail sans geste fort en termes de matériel et de mesures précises.
Nos fournisseurs traditionnels commencent à fermer boutique et à reconnaître ne plus pouvoir garantir notre approvisionnement. Jusqu’ici, tous nos contacts personnels sont activés pour trouver des solutions. Quelqu’un qui connait quelqu’un qui connait quelqu’un qui pourrait nous livrer des FFP2. Nous identifions ainsi une nouvelle filière via Médecins du Monde et nous prenons le risque de commander 5000 nouveaux masques. Un risque cher qui anticipe le fait que nous n’en recevrons peut-être pas suffisamment de la Région. Notre centre pour demandeurs d’asile de Neder-Over-Heembeek a commencé à fabriquer lui-même des masques pour les demandeurs d’asile. C’est une autre stratégie préconisée par l’agence Fedasil, développer ses propres capacités de production.
Au-delà de l’enjeu du matériel, on réfléchit depuis hier à un enjeu bien plus important pour changer la donne sur le contrôle de l’épidémie : le testing systématique des hébergés et de notre personnel. L’ensemble des pays ayant réussi à contrôler rapidement l’épidémie est passé par un testing systématique, seule manière de repérer les porteurs asymptomatiques mais qui transmettent le virus, et donc seule manière de séparer les positifs des négatifs. L’enjeu est aussi de taille au niveau du personnel. Parvenir à leur garantir ses tests permettrait de prendre les mesures pour ne pas risquer de nous contaminer les uns les autres.
Quoi qu’il en soit, on sera vite obligé de prendre des mesures fortes si on veut éviter la débandade totale. Le pire dans tout cela, c’est qu’il faut déjà recentrer son énergie ailleurs que dans l’activité quotidienne de nos centres et de rempart 7. La priorité va très vite devenir de préparer le confinement total auquel on n’échappera pas, ce qui supposera de déménager certains centres. Aujourd’hui, déménager ces centres me parait insurmontable, tellement nous sommes en manque de personnes. Cela me parait une montagne infranchissable, sans aide extérieure. Certains cadres m’ont ouvertement fait part du besoin de jeter l’éponge et de demander à l’armée de prendre la relève. Discours catastrophiste ou clairvoyance avant-gardiste ? L’histoire nous le dira. En attendant, j’avoue que sur ce point-là, je me dis qu’il faut au moins tenir encore quelques jours jusqu’aux nouveaux possibles scénarios de déménagement et de confinement total.
Ce qui est sûr, c’est que ni le Samusocial, ni d’autres à mon avis, ne tiendront huit semaines à ce rythme de montée d’angoisse, de manque de matériel et de taux de certificat médical.
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Photo : Pierre Lamour/Samusocial