Rue de la Loi : quand justice et politique s’emmêlent

Un fait divers est souvent synonyme d’emballement dans une campagne électorale. Depuis 2 jours le meurtre de Julie Van Espen est au centre du débat politique. Ce n’est pas le meurtre en tant que tel qui alimente la polémique, mais plutôt les conditions de libération de son meutrier, celui ci ayant fait l’objet il y a deux ans d’une condamnation pour viol, mais comme il avait fait appel, l’homme avait été laissé en liberté.

Cette affaire n’est évidemment pas une bonne publicité pour le ministre de la justice. On a donc senti Koen Geens embarrassé, indiquant qu’il avait du mal à comprendre la décision du magistrat mais qu’il devait respecter l’indépendance de la justice. Le ministre a d’ailleurs du retirer l’une de ses communications de campagne relative à la lutte contre la violence sexuelle, jugée, à raison, inappropriée dans ce contexte.

L’opposition s’est engouffrée dans la brèche.  Notamment l’opposition francophone, Ecolo, Défi, le CDH ont tous pointé du doigt le sous-financement de la justice. Avec ce raisonnement : si le violeur récidiviste est resté dans la nature pendant deux ans c’est parce que la justice n’a plus les moyens de traiter les affaires dans un délai raisonnable. Il est d’ailleurs vrai que le procès en appel de ce récidiviste a été reporté par deux fois, jugé non-prioritaire par les tribunaux d’Anvers qui avaient d’autres chats à fouetter qu’un violeur en liberté.

C’est vrai que l’opposition joue sur du velours : magistrats et avocats ont dénoncé à maintes reprises un budget insuffisant, des cadres qui ne sont pas remplis,  un parc informatique obsolète, des tribunaux qui ont du fermer faute de financement ou de personnel. Le ministre de la justice lui-même avait estimé il y a quelques semaines qu’il faudrait refinancer son département pendant la prochaine législature, il en faisait même une condition pour rempiler à ce poste.

Y-a-t-il un peu de récupération politique, comme le regrette Charles Michel ? Oui évidemment. À chaque fois qu’un évènement provoque une grande émotion dans l’opinion, les leaders politiques accompagnent cette émotion, et, face à la presse qui les interroge,  il est logique qu’il lui donne un sens politique qui va dans le sens de leur programme. L’originalité de la situation dans laquelle nous nous trouvons c’est que les rôles se sont inversés. Habituellement lorsqu’un fait divers survient ce sont plutôt les partis de droite ou d’extrême-droite qui montent au créneau pour réclamer pour de sévérité. Ici les partis de droite sont au pouvoir depuis 5 ans. S’exprimer en ce sens serait se tirer une balle dans le pied et avouer un  bilan médiocre. A l’inverse les partis de gauche, longtemps timorés sur les questions de sécurité, ont pu trouver un nouvel angle d’attaque, en pointant la cure d’austérité imposée au département de la justice (un département dont il faut quand même rappeler qu’il est indispensable au bon fonctionnement d’un état de droit).

On peut d’ailleurs se féliciter que tout cela se passe en Flandre. Imaginez un instant que le meurtrier ait été francophone, ou que le magistrat qui l’avait libéré était un francophone, on se doute bien que les partis flamands ne se gêneraient pas. Ceux qui crient à la démagogie politique ou à la récupération ne sont pas forcément les mieux placés si on se prend la peine de remonter dans le temps.

Attention quand même. La décision de laisser en liberté un individu relève d’un magistrat. C’est lui et lui seul, qui en âme et conscience prend cette décision, dans le respect de la législation, et en fonction de critères multiples. N’en avoir, deux ans plus tard, qu’une lecture purement  politique, c’est aller un pas trop loin.

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08 mai 2019 - 21h05
Modifié le 09 mai 2019 - 09h14