Coronavirus : l’agriculture locale, une réponse à la crise ?
Face à la crise, le secteur de l’agriculture urbaine est diversement touché. Pendant que les uns, en lien direct avec le consommateur, voient la demande exploser, d’autres producteurs, souvent hors sol, souffrent de la fermeture des marchés et de l’horeca. Comment les aider ? Et comment analyser l’intérêt grandissant de Bruxellois de plus en plus nombreux pour la production locale? Ce succès sera-t-il durable?
“La demande ne cesse d’augmenter depuis le début de la crise. Comme si face au coronavirus, de plus en plus de Bruxellois cherchaient à se nourrir sainement et localement. ” Le constat de la coopérative Vert d’Iris est sans équivoque. Entre autres activités, la société gère deux potagers à Anderlecht sur une surface d’1,2 ha et propose ses produits, mais aussi ceux d’autres producteurs locaux, à la vente en direct, ou via d’autres structures comme le système de “La ruche qui dit oui”. Face aux sollicitations en hausse, Vert d’Iris doit compter avec un personnel en baisse, mesures de sécurité obligent : “On ne souffre pas mais on a clairement un manque de main d’oeuvre en ce moment : nous ne sommes plus que trois en direct sur le potager, deux fois moins que d’habitude.”
Dans le secteur, certains sont plus à la peine. En particulier, les acteurs dépendant de la filière horeca ont du mal à écouler leurs stocks. Bien souvent, il s’agit de cultures hors sol. C’est le cas d’Urbi Leaf, ferme urbaine au coeur de Bruxelles, dédiée à la production de micropousses bio sans intrant chimique. L’activité fait aujourd’hui face à la perte de clients majeurs. “80% de notre production sont destinés à la restauration. Nous sommes donc très touchés pour l’instant. “, explique Anne Colonval, fondatrice de l’asbl. Heureusement, il reste la vente en direct aux consommateurs. Même problématique chez les producteurs bruxellois de champignons, Permafungi. Les activités de visites et de formations de la champignonnière implantée à Tour et Taxis sont totalement à l’arrêt. Quant à la distribution, elle est lourdement touchée : “l’horeca représente 70 % de nos ventes. “, indique Julien Jacquet, l’administrateur-délégué. “On doit se réinventer pour être plus performants. Pour l’instant on essaie de développer la livraison à domicile pour les particuliers. ” Comment aider les agriculteurs en difficulté ? Contacté, le cabinet du ministre bruxellois de l’Environnement Alain Maron (Ecolo) nous répond que le ministre a en effet l’intention de soutenir les agriculteurs urbains dans le besoin face à la crise du Covid-19, “pour sauvegarder l’existant en temps de crise et ne pas laisser leur travail se faire balayer en quelques mois, et pour assurer le déploiement de l’agriculture urbaine une fois la crise passée. Le modalités de cet aide sont en cours de construction.”
Un changement de comportement du consommateur à l’oeuvre?
Depuis le début de la crise, l’intérêt pour la production locale ne fait que croître. “Je reçois de plus en plus de demandes venant de personnes que je n’ai jamais vues.”, observe Alicia Pimentel, fondatrice de Molleke, un espace épicerie-café de quartier dédié à l’alimentation durable, situé à la frontière de la Ville de Bruxelles, Anderlecht et Molenbeek. “Il y a une vraie demande pour ce type de produits.” Difficile à ce stade d’analyser ces signaux et d’évaluer si cette évolution sera durable. “Depuis deux semaines, je vends beaucoup plus. On dirait que les gens ont peur d’aller au supermarché, et préfèrent des petits distributeurs locaux.“, confirme Matthias Van Buggenhout, maraîcher sur 5 ha dans la région de Londerzeel, à quelques kilomètres au nord de Bruxelles. Une grande partie de sa production est écoulée dans les réseaux de distribution bruxellois, via les ruches, les petites coopératives ou structures comme Molleke. “La demande a tellement augmenté que je risque même d’avoir un manque de légumes, mais je ne suis pas sûre que cela durera une fois que la situation reviendra à la normale.”
La crainte parmi les producteurs est plutôt d’être en incapacité de répondre à la demande. On arrive à la période de transition entre les légumes d’hiver et les légumes de printemps. Il va falloir planter, avoir du personnel pour semer mais aussi pour récolter. “Il ne faut pas que la situation actuelle dure trop longtemps.”, s’inquiète Debora Cernigliaro, de Vert d’Iris. Et il faut que les fournisseurs de terreau, d’outils, de compost etc suivent, or ils sont eux aussi victimes du ralentissement mondial de l’économie, ajoute Gabriele Annicchiarico du Début des haricots. L’asbl gère un espace-test agricole à Anderlecht. A partir de fin avril, début mai, on arrivera en haute saison maraîchère, “la situation pourrait devenir plus critique pour les producteurs si le personnel manque, si les marchés sont toujours suspendus et les restaurants fermés.”
Stress-test
“Cette crise sanitaire est un stress-test de notre société. Alors que certains mécanismes sont en train de lâcher, notre secteur résiste. Et constitue visiblement une réponse. Car la crise que nous traversons n’est pas que sanitaire mais aussi systémique. Se nourrir localement, c’est valoriser une filière de qualité et respectueuse de l’humain et de l’environnement mais c’est aussi limiter ses déplacements, réduire les intermédiaires et les interactions. C’est une partie de la solution.”, analyse Gabriele Annicchiarico.
Encore faut-il que notre Région en ait les moyens. Certes le développement de l’agriculture urbaine est l’une des ambitions du gouvernement bruxellois. Mais les quantités produites à Bruxelles restent minimes. “C’est un enjeu bien réel et la crise sanitaire actuelle le prouve.”, observe Catherine Fierens, coordinatrice du projet BoerenBruxselPaysans (Projet pilote visant à susciter la transition alimentaire durable de la Région bruxelloise, via l’offre d’espaces et l’accompagnement pour la production) à Bruxelles Environnement. Le système d’approvisionnement de la grande distribution fonctionne toujours mais qu’en serait-il si la crise était plus grave ou se prolongeait? “On a intérêt à ne plus avoir autant besoin de ces circuits lointains, lourds, aux conséquences désastreuses pour l’environnement et à faire de Bruxelles une région résiliente.” Pour cela, il faut pouvoir produire localement en grande qualité. Même si la stratégie Good Food, élaborée en 2015, pour soutenir une production locale respectueuse de l’environnement, commence à porter ses fruits, Bruxelles en est encore loin.
Sabine Ringelheim – Photo : Archives BX1