Le Villo électrique, une fausse bonne idée ?

Une étude indépendante réalisée en 2016 et actualisée en 2018 pointait les faiblesses du système Villo et recommandait de l’améliorer et d’attendre avant de se lancer dans l’aventure de l’électrification. Visiblement, sans convaincre la Région…

Fin novembre 2019, 1800 eVillo débarquent (enfin) dans 360 stations de la Région bruxelloise. Enfin car, annoncé depuis longtemps, le lancement de la version électrique du vélo en libre-service a été plusieurs fois retardé, pour des raisons techniques. Concrètement, environ un tiers de la flotte des bicyclettes gérées par JC Decaux a été adaptée pour pouvoir fonctionner avec une batterie. Le système est à ce titre particulier : il s’agit de batteries amovibles que l’usager achète et fixe ensuite sur le vélo, vélo qui peut également rouler sans assistance électrique. « Une première mondiale », se félicitait Jérôme Blanchevoye, le directeur de développement de Villo au mois de septembre, pour justifier les bugs qui avaient retardé la mise en place du système.

Efficace ? Il est sans doute trop tôt pour juger. Le cas vécu par le député Julien Uyttendaele interroge : l’élu socialiste raconte qu’il n’a pas reçu ne fut-ce qu’un accusé de réception à sa demande de batterie envoyée … le 2 décembre dernier. Un cas peut-être isolé. Reste qu’on aura connu plus performant.

Au-delà de l’anecdote, introduire l’eVillo était-il une priorité à Bruxelles ? Pas si sûr, si l’on en croit une étude réalisée en 2016, et actualisée en 2018, par deux bureaux spécialisés en mobilité. Commandée et financée par la Région bruxelloise, elle avait pour mission d’analyser les possibilités d’améliorer le service Villo et « d’évaluer la pertinence de l’électrification d’une partie de la flotte Villo. » Les auteurs ont passé au crible les différents scénarios envisageables. Ils concluent notamment que si la solution est populaire, son efficacité sera limitée : « Du point de vue de l’usage des fonds publics, l’e-VLS (Vélo en libre-service) ne semble pas la mesure la plus pertinente par rapport aux autres scénarios. » « 56 % des personnes interrogées sont intéressées ou plutôt intéressées par un service d’e-VLS, sachant que 22% de la population envisage déjà d’utiliser un jour Villo alors qu’elles ne sont jamais passées à l’acte. »

Les auteurs relèvent les faiblesses du système Villo (avant le passage à l’électrique). Ils pointent une série de problèmes, notamment les stations pleines et vides, le manque de densité du réseau, un taux de rotation parmi les plus faibles d’Europe (moins d’une location par jour par vélo. A titre d’exemple, il est de 5,5 à Lyon et de 8 à Paris), les pauvres performances des vélos qui découragent les utilisateurs. En conclusion, ils recommandent, entre autres, de miser davantage sur l’amélioration du service Villo actuel, de « prendre du temps puisque le contrat (qui lie JC Decaux à la Région bruxelloise, NDLR) s’étend jusqu’en 2026 et que le VLS à Bruxelles a une histoire délicate (…)» et plutôt que d’électrifier le Villo actuel, les auteurs « invitent la Région bruxelloise à encadrer pour un coût réduit le développement de free-floating de vélo à assistance électrique »

Cette étude, le député CDH Christophe De Beukelaer en faisait état ce matin en commission mobilité du parlement bruxellois. Comparé aux vélos électriques en freefloating, comme Jump ou Billy Bike, qui fonctionnent sans station, le système Villo est dépassé, soutient-il. Et de pointer aussi le modèle économique de l’opérateur : « Decaux est une multinationale de la publicité. C’est son gagne-pain. Plus les Villos sont utilisés, plus cela lui coûte, sans rien rapporter. Elle n’a aucun incitant à améliorer le service et à innover. Tout cela explique le taux d’utilisation très faible (…)» assure-t-il dans une interpellation à Elke Van den Brandt, la ministre de la Mobilité (Groen).

Celle-ci affirme qu’elle n’a pas connaissance de l’étude de mobilité à laquelle se réfère l’élu humaniste. Elle rappelle que la convention signée avec JC Decaux en 2008 pour l’installation du système à Bruxelles court jusqu’en 2026. Et précise que Villo reste le système de déplacement le moins cher sur tout le territoire de la Région. Mais concède : « l’arrivée des eVillo doit encore faire ses preuves, notamment au printemps.» Aujourd’hui 4% des abonnements Villo sont eVillos, ce qui représente 12% des déplacements Villo.  Le système «mérite néanmoins d’être amélioré. L’attractivité doit être renforcée. Nous y travaillons», conclut la ministre.

Quant au modèle économique du système, géré par une “multinationale de panneaux publicitaires”, et mis en cause par de nombreux députés ce matin : la convention ne se terminera qu’en 2026, rappelle Elke Van den Brandt. “La Région ne peut mettre fin préalablement au contrat qu’en cas de non-respect caractérisé par JC Decaux d’une des obligations substantielles prévues dans le contrat de concession ou pour des raisons d’intérêt public dûment justifiées. Dans ce second cas, une indemnité serait due à JC Decaux pour compenser la résiliation anticipée. ” Et cela pourrait coûter cher.

S. Rg – Rédaction Web