Les défis de Georges-Louis Bouchez : “Est-ce qu’on est obligé d’avoir des secrétaires d’État à Bruxelles ?”
Pendant une semaine BX1 vous propose une série d’entretiens avec le ministre-président de la Région Bruxelloise et les présidents de partis francophones. Comment ont-ils vécu cet été marqué par le Covid 19, les inondations en Wallonie, le changement de régime en Afghanistan ? Comment appréhendent-ils la rentrée et ses grands enjeux politiques, sanitaires, institutionnels ? Aujourd’hui Georges-Louis Bouchez, président du Mouvement Réformateur.
L’entretien a lieu le 17 août dans les locaux du Mouvement Réformateur, avenue de la Toison d’Or. Avant-dernier étage, celui de la présidence. Dans son bureau, un casque de coureur automobile et une table basse qui expose sous verre une combinaison de Lewis Hamilton. Le président du MR est un fan de course automobile, mais il y a aussi dans un coin du bureau une vareuse du RSCA. Georges-Louis Bouchez est détendu et prolixe, calé dans un fauteuil en cuir blanc. Il s’inquiète de savoir où est le micro. On commence par lui demander s’il a pu souffler pendant l’été.
“Une coupure totale ça n’arrive jamais, parfois il y a des variations de rythme, mais c’est resté une période avec pas mal de dossiers : inondations, Covid, nucléaire, Afghanistan, asile et migration… On n’a pas coupé, mais pendant la première quinzaine d’août, le rythme était un peu différent… Ce qui permet d’avoir un peu de temps pour se poser ou prendre du recul, mais pour moi, il n’y a jamais de pause totale. Il n’y a pas une journée où je n’ai pas d’activité politique, jamais, jamais… Aussi loin que ma mémoire remonte, ça n’existe pas.”
Comment a-t-il pris conscience de l’importance des inondations ?
“La première image qui me frappe, parce que je connais bien l’endroit, c’est la place de Spa sous eau… et pourtant, c’est loin d’être le plus grave, avec le recul… mais dès que la place de Spa est inondée, c’est le mercredi, là je me dis il se passe un truc peu commun et je commence à appeler les bourgmestres de la région et j’ai rapidement une idée de l’ampleur. Mais se rendre compte que les choses sont graves, c’est une chose, le vivre c’en est une autre. Le choc émotionnel pour moi, c’est le samedi quand je me rends à Ham-sur-Heure, Verviers, Rochefort… ça vous permet de prendre conscience que quelles que soient les démarches des pouvoirs publics, ce ne sera pas suffisant. Sur le terrain, c’est un peu fou à dire, j’ai aussi senti des gens combatifs et positifs, moins négatifs ou catastrophistes que sur les réseaux sociaux ou dans les médias, c’était impressionnant. Les gens disaient on va redémarrer, partout : un chef d’entreprise qui a perdu son entreprise familiale avait déjà prévu, le samedi, comment il allait redéployer son activité, à Rochefort ; un bar qui avait déjà subi le Covid, et maintenant les inondations, disait “c’est pas grave, on nettoie, moi je veux profiter de ma terrasse cet été”. Je crois beaucoup dans les ressources et les ressorts de l’être humain, c’est un élément qui m’alimente en tant que libéral.”
“Ça peut être un fameux plan de relance”
“Ce qui est arrivé est une catastrophe, il n’y a pas d’autres mots. Maintenant, soit on pleure, soit on se redéploie. Mais ça peut être un fameux plan de relance pour la Wallonie. Si ce sont des entreprises wallonnes, si on met au travail des demandeurs d’emplois wallons pour reconstruire la Wallonie, il y a de l’investissement public qui alimentera l’économie de la région. Alors oui, il faut un an ou deux pour former un maçon, mais cette reconstruction est partie pour 5 à 10 ans. L’urgence, c’est le logement, mais les infrastructures, les halls de sports par exemple, ce sera plus long.”
“Les réorientations d’investissements sont inévitables. Il faut avoir le courage de rediriger les budgets. Si on a fait des promesses pour la construction d’une buvette dans un club de football de la région de Mons, tout le monde comprend que c’est moins prioritaire que des infrastructures de première nécessité dans la région de Liège.”
Réchauffement climatique : faire confiance à la technologie
“Si c’est pour parler du climat en faisant des cœurs avec les doigts et en disant la planète, c’est chouette, ça ne m’intéresse pas. L’enjeu, c’est qu’on parle d’éléments concrets. Le premier levier, c’est l’investissement technologique. Nous sommes convaincus qu’une bonne part des solutions viendront de la science et des connaissances, notamment en matière énergétique. On ne pourra réduire nos émissions dans des proportions suffisantes si on n’investit pas dans la recherche.”
“Les voitures de société seront zéro émission, mais si elles sont électriques et que l’électricité est produite au gaz, vous voyez la perte d’intérêt… Donc l’enjeu de l’hydrogène va vite arriver. L’autre piste, ce sont les voitures autonomes : si vous avez des voitures autonomes, vous pourrez réduire très facilement de deux tiers le nombre de véhicules en circulation. Aujourd’hui, nos voitures restent 20 heures par jour sur la rue ou dans un garage. Si on les appelle avec un SMS et qu’elles circulent 24 h sur 24, vous allez avoir des solutions. Mais faire croire à des gens qui habitent dans une zone rurale qu’ils vont avoir plus de bus, ça n’a pas de sens. Si c’est un bus pour 3 personnes, autant qu’ils prennent la voiture.”
“L’étalement urbain est un vrai enjeu, mais là ce sont les citoyens et pas les politiques qui ont la main. J’ai vu beaucoup de jeunes manifester pour le climat, notamment dans le Brabant wallon… mais quand on a une villa 4 façades et 2 ou 3 voitures par ménage, c’est compliqué d’attendre que le politique trouve une solution miracle. Tous les secteurs diminuent leur niveau de CO2 sauf les transports et le logement. Ce sont deux leviers sur lesquels les citoyens ont la main. Quand je décide de construire une maison à 30 km d’une ville et à 500 m du plus proche voisin et que je m’oblige à avoir une voiture pour mes déplacements, c’est une question… Moi, je suis libéral. Je ne vais pas dire aux gens qu’ils ne peuvent pas avoir la maison de leur rêve, donc l’enjeu technologique est très important.”
La fin des moteurs thermiques à Bruxelles : pas une bonne décision
“Le rôle du politique, c’est d’établir le cahier des charges. Dire je veux des véhicules neutres en carbone, c’est une bonne décision. Ça permet d’envisager des stratégies alternatives. Interdire les moteurs thermiques n’est pas une bonne décision. Si je n’ai pas de borne de recharge, comment je fais? Il ne faut pas contraindre les gens mais leur offrir des alternatives pour qu’ils fassent eux-mêmes le switch et être neutre technologiquement. Moi, de Mons à Bruxelles, avenue de la Toison d’Or, porte-à-porte, je mets deux heures en train et en métro. En voiture, les pires jours, je mets 1h30.”
COVID-19 : la seule issue pour Bruxelles, la vaccination mobile
“Le but est de revenir à une vie normale. Si après la période test octobre-décembre on arrive à maîtriser les entrées à l’hôpital, on devra pouvoir aller vers une suppression totale des contraintes. Je ne sais pas si c’est dans un mois ou un an, mais il est hors de question de rester avec ces contingentements. L’objectif, c’est que le covid devienne une sorte de grippe, où on restera à la maison 4 ou 5 jours, ce qui n’est pas dramatique.”
“Les chiffres montrent que la gestion de la vaccination est ratée. Il n’y a plus qu’une seule issue pour la Région bruxelloise : la vaccination mobile. Il y a une partie de la population en décrochage par rapport à la communication institutionnelle. La diversité de population et de classes sociales à Bruxelles est un défi supplémentaire. Je sais qu’il y a déjà un bus, mais il faut aller au-delà, aller dans les quartiers ou la vaccination reste faible. Là-dessus la Région bruxelloise n’est pas au rendez-vous. Je n’ai plus entendu Alain Maron depuis un bon moment. Si j’avais ses chiffres, je serai particulièrement inquiet. Le gouvernement bruxellois doit se donner plus de moyens que ce qu’il fait aujourd’hui.”
La Région bruxelloise manque d’unité
“Ce que l’on voit avec la crise Covid est la réalité de la Région bruxelloise. Avec la diversité de profils, de cultures, de conditions socio-économiques, si on veut récréer un débat public bruxellois, il faut faire beaucoup plus en matière d’aménagement du territoire, de débat, de lien avec les populations. La politique qui a consisté à passer par des associations ou des maisons de quartier pour recréer du lien social a eu l’effet inverse. On a cloisonné les populations. Je n’ai jamais compris pourquoi on ne créait pas des maisons de quartier avec des babyfoots à Woluwe ou à Watermael-Boitsfort alors qu’à Molenbeek, il y en a une dans chaque rue. On en a l’échec aujourd’hui. L’échec de la vaccination est le reflet de la segmentation bruxelloise. On a créé une société de repli sur soi. »
L’avenir institutionnel : garder la Fédération Wallonie-Bruxelles
“Je suis à 100 000 % sur le lien entre Wallons et Bruxellois. Tous ceux qui sont pour les 4 Régions veulent garder un lien entre la Wallonie et Bruxelles. Ça tombe bien, il y a la Fédération Wallonie-Bruxelles. On peut rendre les choses plus opérationnelles, moins coûteuses, plus concrètes dans les politiques qui sont menées. Je ne suis fermé à rien et le MR, comme tous les partis, mène des réflexions sur le sujet. Je ne suis pas un tenant des 4 Régions, je suis plutôt un francophone et belge convaincu. Un individu se définit souvent par la langue. Le lien francophone est une réalité. Plein de Bruxellois vivent en Brabant wallon ou dans le Hainaut. Des Wallons font leurs études à Bruxelles. Est-ce qu’on imagine des diplômes différents ? C’est engendrer une usine à gaz. Quand vous êtes un jeune aujourd’hui, vous ne pensez pas à votre village, vous pensez monde. Et dans le monde, votre identité la plus forte, c’est d’être Belge. Stratégiquement, Bruxelles a besoin de la Wallonie. Dans les négociations belges, Bruxelles tout seul est un oiseau pour le chat. La force pour les francophones, c’est de rester liés. Deuxième intérêt : la main d’œuvre. 50% du PIB bruxellois est constitué par les navetteurs. Et troisième avantage, cette capacité d’avoir un lien territorial : Bruxelles est aujourd’hui cloisonné. Il reste des possibilités en Wallonie. Je ne suis pas en train de redessiner les frontières, mais pour les francophones, envisager un espace plus large est intéressant. Il faut arrêter le repli. Bruxelles est le moteur économique du pays. Franchement, des Wallons qui me disent qu’ils vont valoriser la Wallonie au Japon sans avoir Bruxelles dans leurs valises, je n’arrive pas à le comprendre.”
Trop de personnel politique à Bruxelles, au parlement ou dans la culture
“Dans mes contacts sur le terrain, personne ne me parle de réforme de l’État, mais des inondations, du covid, des pénuries d’emploi, du défi climatique… Moi ce que je veux, c’est un modèle plus efficace. On peut être déjà beaucoup plus efficace sans faire de réforme de l’État, mais si on accepte de supprimer une série de fonctions politiques, on peut être plus efficace. Par exemple, à Bruxelles, on a une centaine de personnes qui s’occupe de la politique culturelle. Entre les échevins de la culture, les présidents de centre culturel, les différents organismes à la Cocof, etc. On a 89 députés bruxellois. Je sais que c’est un grand tabou avec la minorité flamande. Je suis désolé, mais il faudrait diminuer drastiquement le nombre de députés francophones pour dire que les flamands auraient une minorité de blocage. Est-ce qu’on a vraiment besoin de 89 députés à Bruxelles alors qu’il y en a 75 en Wallonie ? Je n’ai pas le sentiment que le nombre de députés ait fait augmenter la qualité du débat. Est-ce qu’on est obligé au gouvernement bruxellois d’avoir un secrétaire d’État ? Aujourd’hui, on pourrait déjà supprimer une série d’institutions et les doublons entre les administrations et les agences. On a des agences pour le développement territorial, la gestion des parkings, etc… pourquoi avoir un doublon avec l’administration ?”
“Ce qui manque à Bruxelles, c’est un leadership politique”
“Est-ce qu’il faudra une réforme de l’État en 2024 ? Très franchement, ce n’est pas ma première priorité. Si demain on vient m’amener une solution magique, pas de souci. Jusqu’à présent, j’ai vu beaucoup de bavardages, mais il n’y en a pas un qui ait été capable de me présenter un modèle qui soit à ce point limpide et parfait que tout le monde s’y retrouverait. Ma conviction, c’est que le leadership politique peut aller bien au-delà des contraintes administratives. Ce dont on manque à Bruxelles, c’est d’un leadership politique. Si vous aviez un ministre-président qui prend vraiment le leadership, il y aurait plein de problèmes qu’on ne verrait même plus. Moi, la vision de Bruxelles de Rudi Vervoort ou de Philippe Close pour 2030-2035, je ne la connais toujours pas. Je vois des politiques qui amènent à la communautarisation, à faire plaisir à l’un ou l’autre public, mais je ne vois pas de politique de redéploiement de Bruxelles en particulier à l’égard de sa jeunesse.”
Fabrice Grosfilley