Rue de la Loi : le maïorat d’Emir Kir ne sera pas mis en cause

Fabrice Grosfilley - Photo Couverture

A l’échelle de la Région Bruxelloise c’est une déflagration. L’exclusion d’Emir Kir du Parti Socialiste est un fait majeur de la vie politique. Elle met un terme à 20 ans d’engagement politique et à une ascension fulgurante qui l’avait menée jusqu’au gouvernement régional : conseiller communal, rapidement échevin, bourgmestre, secrétaire d’état Bruxellois à la propreté, député fédéral… Emir Kir faisait le plein des voix, et s’était imposé comme le représentant des électeurs d’origine turque. Un positionnement qui faisait son succès électoral, mais qui est devenu  un handicap, puisqu’Emir Kir finissait par être perçu comme un lobbyiste turc davantage que comme un élu socialiste.

Même s’il devait faire appel et obtenir un passage devant la commission de vigilance nationale, la question est désormais tranchée : Emir Kir ne pourra plus porter les couleurs du PS. Sa rencontre avec des maires d’extrême-droite et les déclarations qui ont suivi (en particulier la première page de la Dernière Heure où il se posait en victime d’attaques turcophobes) n’autorisent pas le retour en arrière qui passerait pour une faiblesse. Et pour beaucoup de socialistes bruxellois c’est un mal pour un bien : Kir rapportait 18 500 voix au parti c’est entendu, mais il en faisait perdre beaucoup aussi. Impossible d’établir sérieusement le ratio coût/bénéfices, la science politique ne le permet pas, alors tant qu’à faire, autant réaffirmer les valeurs du parti et mettre fin une bonne fois pour toutes aux dérives nationalistes. La commission de vigilance a donc suivi la tonalité des premières déclarations de Paul Magnette, d’Ahmed Laaouej ou Philippe Close qui avaient très clairement condamné la rencontre. Au passage elle conforte Ahmed Laaouej dans son autorité de président de fédération, à l’inverse de son challenger Rachid Madrane qui aura donc eu la mauvaise idée de vouloir tenir une position à équidistance d’Emir Kir et de ceux qui avaient déposé plainte, et avait même adressé publiquement sa “sympathie” au bourgmestre de Saint-Josse, formule qui s’avère particulièrement malheureuse une fois la sanction connue. Et le message vaudra désormais pour tous les élus socialistes, qui à Saint-Josse-Ten-Noode, Schaerbeek ou ailleurs, professent parfois le contraire auprès de leurs électeurs : les valeurs du PS ne sont pas celles de l’AKP (parti du président Erdogan) ou du MHP (extrême-droite turque).

Reste qu’on ne met pas impunément dehors un bourgmestre, leader autoproclamé de la communauté turque de Bruxelles, sans dommages collatéraux. Le député régional Emin Ozkara a donc, déjà, décidé de quitter le groupe socialiste. Même si sa présence semblait déjà incongrue (Ozkara avait quand même déposé plainte contre son  groupe en pleine campagne électorale pour une rocambolesque affaire d’intrusion dans son bureau, et avait ensuite mené une campagne particulière individualiste, il allait  d’ailleurs être entendu prochainement par la commission de vigilance) cela fait donc un député de moins pour les socialistes francophones. Surtout, d’autres pourraient suivre : les députés Ibrahim Dönmez ou Hassan Kuyuncu, par exemple, font désormais l’objet d’un attention soutenue. Des réunions, des contacts, et même des repas ont ainsi été organisés pendant tout ce weekend. Le PS n’a désormais plus qu’un député de plus qu’Ecolo… un nouveau départ mettrait les deux groupes à égalité. De quoi rendre explosive la suite de la législature : les socialistes savent désormais que leur leadership en Région bruxelloise sera sérieusement disputé par les verts. Beaucoup d’analystes et de journalistes ont glosé ce week-end sur l’impact de cette radiation au niveau fédéral, le départ d’Emir Kir ruinant selon leurs calculs la possibilité d’une coalition arc-en-ciel (libéraux, écologistes et socialistes).  Soyons clairs : c’est de la foutaise, avec 76 députés sur 150 cette coalition n’a jamais été crédible, et le passage du groupe PS de 20 à 19 élus ne change pas grand-chose au fonctionnement de la Chambre (le groupe socialiste perdra juste un ou deux collaborateurs). En revanche, le départ de plusieurs mandataires d’origine turque, s’ils se mettent à suivre Emir Kir pourrait avoir des conséquences autrement significatives au parlement régional ou dans certaines communes. Le PS doit donc s’employer dans les semaines qui viennent à s’assurer de la solidité et de la loyauté de ceux qui portent ses couleurs au niveau régional ou local. Pour l’instant, dit-on dans les rangs socialistes, les signaux sont plutôt encourageants et le dialogue est positif entre la direction de la fédération socialiste bruxelloise et les élus concernés.

Reste l’échelon local. Sans doute le plus sensible et le plus compliqué. Les échevins de Saint-Josse se sont empressés de dire leur soutien à leur bourgmestre et une réunion de la section locale est annoncée pour lundi soir. Elle fera probablement bloc autour d’Emir Kir tant celui-ci domine la vie politique locale. La fédération régionale du PS n’aura probablement pas les moyens de le faire renoncer au maïorat : révoquer un bourgmestre est extrêmement difficile en Région bruxelloise, seul le ministre en charge des pouvoirs locaux (ici Bernard Clerfayt) a autorité pour le faire, mais dans des cas bien délimités. Quand à l’idée qu’un nombre suffisant de conseillers communaux fasse sécession de la liste du bourgmestre pour provoquer un changement de majorité, par exemple en s’alliant avec Ecolo, personne n’y croit vraiment. Pour rappel la liste d’Emir Kir avait obtenu 17 sièges sur 29, soit une majorité confortable. Seul Ecolo (emmené par Zoé Genot)  avec 9 sièges est en mesure de lui apporter une opposition crédible… les autres formations politiques, avec un conseiller, sont plutôt transparentes.

Contacté ce dimanche, Ahmed Laaouej, indique qu’au sujet de Saint-Josse “la fédération bruxelloise du PS ne prendra aucune décision hâtive, l’intérêt des tennnoodois prime”. En d’autres termes, le PS ne veut pas se lancer dans un bras de fer qui pourrait aboutir à une paralysie du conseil communal. Le fonctionnement des institutions sera prioritaire. On fera donc avec un bourgmestre indépendant, et on ne sommera pas les conseillers communaux ou échevins de lui tourner le dos. La grande explication attendra donc 2024, quand il faudra bien monter une liste socialiste pour affronter Emir Kir dans les urnes. En attendant, les uns et les autres devront continuer à travailler ensemble. Ou au moins essayer.