Mathilde Deswaef non sélectionnée pour l’Euro de cross: “Injuste et décevant”

Désillusion. C’est le sentiment partagé par cette poignée de jeunes femmes belges à qui on a refusé la potentielle participation au Championnat d’Europe de Cross country qui auront lieu les samedi et dimanche 11 et  12 décembre à Dublin.

Chaque année, les plaines de Roulers accueillent le cross de sélection belge pour le grand rendez-vous européen. Tout coureur de demi-fond qui nourrit des ambitions rêve d’y briller un jour. Des carrières se jouent sur ces terres flandriennes. Des destins s’y dessinent. Des talents s’y révèlent. Lors du troisième week-end de novembre, le temps d’une après-midi, la cité du nord se transforme coutumièrement en théâtre d’exploits et d’émotions. Qui sera dans l’équipe nationale ? Qui portera le maillot du Royaume ?

La bruxelloise Mathilde Deswaef était jusqu’à dimanche prétendante à la poursuite de ce rêve, qu’elle avait déjà réalisé dans le passé en catégorie junior. À la suite d’une année 2021 compliquée et éprouvante, marquée par une longue blessure déstabilisante, l’athlète du White Star a relevé la tête pour regarder l’horizon tracé par la Manche, avec l’Irlande en ligne de mire. En décembre, souvent, il neige sur l’Ile d’émeraude. Comme lors de sa participation à Samorin dont aujourd’hui encore elle se souvient. Alors pourquoi pas retenter l’aventure ?

Le cross country est une discipline de battant.e. Dans la préparation qui y mène autant que dans la course du jour même. Il faut braver les éléments naturels, jouer avec eux, les respecter et en même temps les tourner à son avantage, faire preuve d’humilité, mais aussi d’une ténacité farouche dans son rapport à l’effort. Durant ces dix dernières semaines, Mathilde a engrangé les kilomètres, a courbé l’échine face au vent de novembre.

Fière du travail accompli, elle a pris le départ de la crosscup Roulers avec une intrépide ferveur et l’objectif de se classer au plus près possible de la victoire en espoir, afin de prétendre retenir l’attention du comité de sélection. Le passage des coureurs eut tôt fait de transformer le tracé en tranchées. Maculées par la fange, les coureuses se sont livré une bataille par beaucoup qualifiée d’héroïque. Mathilde a tout fait pour demeurer au contact des favorites. Huitième de la course et deuxième espoir dame, elle ralliait le podium à la fois exténuée, soulagée, autant que galvanisée. Elle a quitté, en un instant, les flaques de boue pour un nuage rêveur : le pari était réussi ! Un nuage de courte durée… Deux jours plus tard, le couperet tombait : le nom d’aucune femme n’apparaît sur la liste des sélectionnés, chez les seniores et les espoirs, publiée par la fédération ! Stupeur, incompréhension et puis désillusion. Cela n’est jamais arrivé.

“Nous avons serré les dents à l’entraînement pour être sélectionnée”

Jadis, les six premiers de chaque épreuve étaient gratifiés d’une sélection (tout simplement, car chaque pays est invité à envoyer six coureurs). Plus récemment, la Fédération nationale s’était octroyé la possibilité de n’envoyer que le vainqueur de chaque course, et éventuellement ses trois suiveurs, dans le cas où ceux-ci auraient gagné la ligne d’arrivée dans son sillage le plus limité. Car il faut au minimum quatre coureurs pour marquer des points dans un classement par équipe aux Europe. Cette année, aucune femme ne prendra l’avion, pour courir en individuel, exceptée Annelies Nijssen, qui évolue chez les juniors.

Pourtant, du côté masculin, les quatre premiers séniors ET les quatre premiers espoirs seront dans la joute irlandaise. Mathilde s’exprime sur le sujet : « le message qui transparaît est que, pour les membres de la Commission de sélection, les athlètes féminines n’ont pas la même valeur que les athlètes masculins. Même si, je précise, que je ne pense pas que c’est ce que les membres de la Commission de sélection pensent. » Pour la Bruxelloise, c’est un manque de reconnaissance interpellant. « Nous avons toutes travaillé très dur pour ce moment, cette sélection, et on ne nous laisse pas la chance de nous exprimer dans les labourés. Le chemin du haut niveau est très long et difficile. Et chaque hiver, se dire qu’on a une chance de participer à ces championnats d’Europe nous motive à persévérer, à serrer les dents à l’entraînement. S’il n’y a pas d’encouragements sur le chemin vers la médaille, ça n’ira pas », explique l’athlète bruxelloise.

La fédération a depuis justifié sa décision polémique par la supposition d’une compétitivité trop peu élevée. Rutgers Smith, responsable haut niveau de la fédération flamande a spécifié qu’aucune femme ayant performé à Roulers ne pouvait prétendre à intégrer le Top 20 à Dublin. N’envoyer personne semble alors plus judicieux que prendre le risque de ne pas figurer en tête de classement. “Le cross country est pourtant très compliqué à quantifier : un parcours n’est pas l’autre et l’efficacité de chaque athlète peut varier en fonction de cet élément. Mais, surtout, comment faire en sorte de faire progresser les athlètes de notre pays si on ne leur permet pas de se mesurer aux autres quand elles y ont pourtant droit ?” s’interroge Mathilde.

La plupart des pays européens envoient systématiquement six athlètes dans chaque catégorie à ces championnats d’Europe annuels. Énorme source de motivation chez les jeunes, gage d’expérience pour les autres et culture d’un esprit collectif chez tous, la démarche semble partout porter ses fruits. “La carrière d’un athlète s’en voit totalement bouleversée. Prendre part à un championnat international fait progresser l’athlète”, affirme la jeune Bruxelloise. Bien souvent, c’est à partir de là que la carrière de l’athlète décolle.

En ne sélectionnant pas ses propres athlètes, la fédération ravale elle-même les rêves de ses propres coureuses.

Deux jours après l’annonce de la sélection, et les diverses réactions des jeunes dames non sélectionnées, Mathilde espérait que la fédération la contacterait elle, Hanna Vandenbusche, Nina Lauwaert, Lisa Rooms, ou encore Roxane Cleppe. Mais à ce jour, Mathilde nous confie que c’est le silence radio.

L. V. – Photo: Belga

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02 décembre 2021 - 17h20
Modifié le 02 décembre 2021 - 23h04