Sous-financement du pouvoir judiciaire : le tribunal de première instance de Bruxelles débraie à son tour

Le tribunal de première instance et celui de police à Bruxelles ont annoncé lundi après-midi les mesures qu’ils ont décidé de prendre en réaction aux ambitions du gouvernement fédéral de modifier le système des pensions des magistrats et du personnel judiciaire.

Ainsi, comme d’autres tribunaux ces derniers jours, les tribunaux de première instance et de police bruxellois autorisent eux aussi les juges à remettre certains dossiers, en particulier ceux introduits par l’État belge.

“Les juges du tribunal correctionnel pourront se réserver le droit de remettre tous les dossiers tout en tenant compte des intérêts en jeu, par exemple la présence de détenus, et la charge de travail réelle de la chambre”, ont annoncé les comités directeurs des deux tribunaux. “Les juges d’instruction pourront se réserver le droit de ne plus exécuter les demandes de certificat de gel et les demandes d’entraide internationale ainsi que d’acter une fois tous les 15 jours les constitutions de partie civile”, ont-ils ajouté.

■ Interview de Denis Goeman, magistrat de presse au micro d’Emma Druelles

“Les juges de la chambre du conseil pourront se réserver le droit de remettre les dossiers de détention administrative. Les juges fiscaux pourront se réserver le droit de remettre tous les dossiers impliquant l’État belge. Les juges civils pourront se réserver le droit de prendre des mesures spécifiques à leur section. Les juges de la famille pourront se réserver le droit de suspendre la signature de leurs décisions, et les juges de la jeunesse pourront se réserver le droit de ne plus traiter les dossiers de mineurs délinquants détenus comme non-détenus”, ont-ils listé.

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“Enfin, les juges de police pourront se réserver le droit de remettre toutes les affaires sans détenus, tant pénales que civiles”, ont terminé les deux instances.

“Les magistrats rappellent que leur niveau de rémunération garantit leur indépendance et qu’à ce titre elle est protégée par le droit international”, ont livré comme explications les tribunaux de première instance et de police de Bruxelles. “Cette atteinte [au système de pension des magistrats] est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, renforçant le sentiment d’injustice et d’abandon des magistrats depuis des années en raison du sous-financement chronique de la justice”.

Cette intention de revoir à la baisse les pensions des magistrats “s’ajoute aux conditions de travail indignes […] dénoncées de longue date: locaux vétustes, surcharge de travail, sous-effectifs en personnel, heures supplémentaires non rémunérées, etc.”, ont-ils affirmé. “Jusqu’à présent, le système de pensions représentait un salaire différé, unique levier permettant de compenser ces contraintes et de rendre la fonction un tant soit peu attractive”.

Les mesures annoncées par le tribunal de première instance et le tribunal de police de Bruxelles seront effectives dès mardi et ce pour une durée d’un mois renouvelable, “sauf si des avancées significatives dans le refinancement de la Justice sont visibles”, ont expliqué ces deux instances.

Les mesures prises par les instances judiciaires bruxelloises ne font pas l’unanimité

Report de dossiers à très long terme, avis du ministère public devant le Tribunal de l’Application des Peines (TAP) mis en attente, demandes de constitution de partie civile devant les juges d’instruction décalées… La vague d’actions radicales des instances judiciaires ne font pas forcément l’unanimité au palais de justice de Bruxelles, notamment du côté des avocats, mais aussi de certains magistrats.

La justice à la carte qui se dessine pour les prochaines semaines dans les salles d’audience du palais de justice de Bruxelles, en réaction à la réforme des pensions des magistrats annoncée par le gouvernement fédéral, en laisse certains perplexes. Si la plupart des acteurs de justice sont d’accord avec l’intérêt du combat des magistrats, tous ne sont pas forcément d’accord avec les mesures concrètes, parfois radicales, qui sont prises, parce qu’elles impactent avant tout les citoyens. “Sur le fond, les magistrats ont raison, le sous-financement structurel de la justice et le manque de considération pour ses acteurs impactent l’État de droit et ils ne peuvent continuer à le porter à bout de bras, face à des gouvernements successifs qui semblent ne jamais prendre la mesure du problème“, a communiqué la bâtonnière de l’Ordre francophone du Barreau de Bruxelles, Marie Dupont. “Sur la forme, on peut regretter que ce soit à l’occasion de la réforme des pensions que la magistrature se mobilise enfin pour dénoncer publiquement l’inacceptable affaiblissement du pouvoir judiciaire. On ne peut également que déplorer que les justiciables soient pris en otage, alors qu’ils doivent déjà faire face à un système judiciaire asphyxié et à d’inacceptables délais de traitement de leur dossier”, a-t-elle ajouté.

Belga

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05 mai 2025 - 15h59
Modifié le 05 mai 2025 - 18h57