Procès des attentats de Bruxelles : Abdeslam veut rester dans sa cellule, une nouvelle planque analysée

Cela fait plusieurs jours que Salah Abdeslam ne se présente pas au procès des attentats du 22 mars 2016, justifiant son absence par des certificats médicaux.

“Depuis le début, j’ai fait les choses dans les règles, mais dans ces conditions ce n’est plus possible. Je vais retourner dans la souricière [cellulaire] et j’y resterai jusqu’au verdict”, a déclaré ce jeudi Salah Abdeslam en ouverture de l’audience du jour au procès d’assises des attentats du 22 mars 2016 à Maelbeek et Zaventem.

La présidente de la cour d’assises a demandé, comme chaque matin, aux sept accusés détenus, s’ils avaient été soumis à des fouilles à nu avec génuflexion par la police lors de leur transfert de la prison de Haren au Justitia. Ceux-ci ont tous répondu par l’affirmative sauf Mohamed Abrini et Osama Krayem qui ont refusé de répondre. Ces deux derniers ainsi que Salah Abdeslam et Sofien Ayari ont ensuite demandé à retourner dans le cellulaire et n’assistent donc pas à l’audience.

Mercredi, Salah Abdeslam avait affirmé avoir été frappé au visage par un policier au moment de la fouille à nu. Un médecin légiste a été requis par la cour pour constater ses blessures.

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Depuis le début du procès, les accusés détenus dénoncent leurs conditions de transfert depuis la prison de Haren, où ils sont incarcérés sous haute sécurité, vers le Justitia, situé non loin, où se tient le procès. Une procédure en référé a été engagée par leurs avocats et, fin décembre, le juge a estimé que des fouilles à nu systématiques constituaient des traitements dégradants.

L’État belge, contraint de faire cesser la pratique, a fait appel, mais la décision du juge des référés est effective. Or, selon la défense des accusés, elle n’est pas respectée par le service de la DAP (Direction Protection), au sein de la police fédérale, qui est chargée des transferts des détenus.

Ce jeudi, l’audience du jour est consacrée au récit de l’enquête autour de la planque de l’avenue des Casernes à Etterbeek.

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11h58 – Nouvel incident autour de Smail Farisi

Smail Farisi a été sorti de la salle d’audience par des policiers après s’être emporté en fin de matinée, perturbant l’audience. L’accusé, qui comparait libre, a voulu s’exprimer alors que les enquêteurs étaient en train d’évoquer les investigations concernant l’appartement qu’il louait à l’avenue des Casernes à Etterbeek, et qu’il avait prêté au kamikaze Ibrahim El Bakraoui.

“Je suis homosexuel moi, c’est pas possible tout ça”, s’est emporté Smail Farisi, sous-entendant qu’il n’a pas pu avoir épousé les thèses islamistes radicales d’Ibrahim El Bakraoui et donc être complice des attaques que celui-ci a perpétrées. “Je vais crever là”, a ajouté Farisi, exprimant un mal-être généré par le procès.

Son avocat, Me Michel Degrève, a expliqué à la cour que son client avait réagi virulemment parce que les enquêteurs venaient d’évoquer les images de caméras de l’immeuble de l’avenue des Casernes avant décembre 2015. Or, tout ce qui concerne la période située entre les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et décembre suivant a déjà fait l’objet d’un procès. Il s’agit du dossier “Paris bis”, dont le jugement a été rendu par le tribunal correctionnel de Bruxelles en juin dernier, et qui a acquitté Smail Farisi.

La présidente a précisé que cette période infractionnelle avait été rappelée par les enquêteurs de manière à comprendre le contexte, mais que la cour est bien saisie pour juger uniquement la période infractionnelle au-delà de décembre 2015 jusqu’à la date des attentats à Bruxelles, le 22 mars 2016.

Smail Farisi a pu revenir dans la salle d’audience, une vingtaine de minutes plus tard.


12h41 – L’appartement de l’avenue des Casernes, un lieu de repli

Une enquêtrice de la DR3 (section antiterroriste de la police judiciaire fédérale) a présenté les perquisitions effectuées dans un appartement au n°39 de l’avenue des Casernes à Etterbeek. D’après les éléments collectés, l’endroit a principalement servi de dortoir et de lieu de repli pour certains membres de la cellule.

Selon les images de vidéosurveillance, l’appartement du 4e étage, loué par Smail Farisi via un CPAS, a été occupé à partir du 4 octobre 2015 par Ibrahim El Bakraoui, qui est rejoint par son frère, Khalid, le 26 novembre. Le premier déménage ensuite vers la rue Max Roos à Schaerbeek alors que le second partagera les lieux avec Osama Krayem, à partir du 16 mars, jusqu’au jour des attentats.

Le 22 mars, après l’explosion dans le métro, les images montrent Osama Krayem qui revient dans l’appartement avec le sac contenant sa bombe. Il ressort peu après sans son sac, mais avec de nouveaux vêtements.

L’appartement est finalement vidé par les frères Farisi entre le 23 et le 25 mars avec l’aide de plusieurs personnes mises hors de cause par l’enquête. On les voit notamment sortir le sac à dos d’Osama Krayem dans lequel se trouvait la bombe. Celui-ci est alors vide et ne sera jamais retrouvé.

Faute d’avoir récupéré les clés qu’il avait confiées à Ibrahim El Bakraoui, Smail Farisi tentera de changer la serrure de la porte de l’appartement. Les marques laissées par cette opération seront confondues avec des traces de passage de la police par Mohamed Abrini et le feront renoncer alors qu’il tente de se rendre dans le logement le 3 avril, probablement pour se cacher.

Les prélèvements effectués sur tous les siphons de l’appartement révèleront des traces de TATP, l’explosif improvisé utilisé pour la fabrication des bombes, corroborant les déclarations d’Ossama Krayem qui avait indiqué en audition s’être débarrassé de la bombe dans les toilettes et dans la douche. “Ça nous rassure sur le fait que le TATP a été dissout et qu’il n’y a plus de bombe en circulation”, a commenté le juge d’instruction Olivier Leroux.

Le logement, d’abord considéré comme une simple planque, sera ensuite classé comme “lieu conspiratif” par les enquêteurs. Ce changement est dû au fait qu’en plus d’avoir logé des membres de la cellule et abrité certains membres de passages, l’appartement a également été le point de départ vers le lieu de l’attentat et a servi à la préparation de l’attaque puisque les bombes destinées à la station Maelbeek y ont transité le 21 mars, lorsque Osama Krayem les a rapatriées depuis la rue Max Roos.

Les perquisitions de l’appartement de la rue des Casernes – Photo : BX1

13h59 – Deux numéros de GSM activés au lendemain des attentats ont intrigué les enquêteurs

La cheffe d’enquête a entamé, jeudi en fin de matinée, l’exposé du résultat des perquisitions du “lieu de repli” de la rue du Tivoli à Laeken, devant la cour d’assises de Bruxelles chargée du procès des attentats du 22 mars 2016. Sur base d’un GSM et d’un emballage vide de téléphone portable, les enquêteurs ont pu découvrir que deux numéros avaient été activés le lendemain des attentats par les accusés par Bilal El Makhoukhi et probablement Hervé Bayingana Muhirwa.

Les enquêteurs ont mené diverses perquisitions dans l’appartement de la rue du Tivoli à Laeken, qui était loué par Hervé Bayingana Muhirwa depuis octobre 2015, et où s’est réfugié, après les attentats, Osama Krayem. “135 pièces ont été saisies, sur lesquelles on a essayé de trouver des traces ADN et dactyloscopiques (empreintes digitales, NDLR). Une fois le travail de labo effectué, on a fait des recherches informatiques, de téléphonie et autres”, a expliqué la cheffe d’enquête.

C’est ainsi que les enquêteurs découvrent qu’un GSM se trouvant sur la table du salon a été utilisé avec un numéro attribué à Hervé Bayingana Muhirwa, et qu’il a été activé le 23 mars, soit le lendemain des attentats. Ce numéro n’a servi que pour des contacts avec deux interlocuteurs : Bilal El Makhoukhi (qui n’a pas contesté être le détenteur du numéro appelé) et la société de restauration Sodexo. Mais Hervé Bayingana Muhirwa a démenti être le détenteur de ce numéro, bien que la personne l’ayant utilisé pour appeler Sodexo se soit présentée sous son nom.

Par ailleurs, les enquêteurs ont trouvé une boîte de GSM vide. À partir du numéro IMEI (numéro de série permettant d’identifier tout appareil mobile) inscrit sur l’emballage, ils constatent que deux cartes SIM ont été introduites dans ce téléphone. L’une est attribuée à Bilal El Makhoukhi et a été utilisée pour la première fois également le 23 mars. L’autre est celle qui a été utilisée dans le GSM trouvé sur la table du salon, attribuée donc à Hervé Bayingana Muhirwa. “En résumé, ces numéros servent à se contacter l’un et l’autre“, a précisé la juge d’instruction Sophie Grégoire.


15h05 – Salah Abdeslam a porté plainte pour coups et blessures contre un policier

Salah Abdeslam, accusé dans le dossier des attentats à Bruxelles du 22 mars 2016, a déposé plainte pour coups et blessures contre un policier auprès du parquet de Bruxelles, a confirmé jeudi son avocate, Me Delphine Paci.

À l’ouverture de l’audience de la cour d’assises de Bruxelles, mercredi, Salah Abdeslam avait affirmé avoir reçu un coup de poing au visage de la part d’un policier chargé d’effectuer la fouille à nu préalable a son transfert de la prison de Haren, où il est détenu, jusqu’au Justitia, où se tient le procès.

Son avocate avait alors demandé à la présidente de la cour de faire examiner son client par un médecin légiste afin que celui-ci constate les lésions. Salah Abdeslam a donc vu le médecin avant d’être entendu par un enquêteur, mercredi soir, à la prison de Haren.

À la suite de cette audition, l’accusé a finalement porté plainte pour coups et blessures auprès du parquet de Bruxelles, a expliqué Me Paci.

La version du policier mis en cause n’est pas encore connue.


16h44 – L’appartement de la rue de Tivoli, “pas un lieu conspiratif”

La cheffe d’enquête des attentats du 22 mars 2016 a exposé, après avoir évoqué l’analyse des objets saisis rue du Tivoli, tous les éléments permettant d’en apprendre plus sur les personnes qui ont fréquenté l’appartement de la rue de Tivoli et à quel moment. Les policiers ont recoupé les déclarations des accusés avec les données de téléphonie, les analyses d’empreintes et d’ADN ainsi qu’avec les observations policières, pour pouvoir obtenir une vue d’ensemble des allées et venues dans l’appartement.

“Qui est passé par cet appartement ? Évidemment Hervé Bayingana Muhirwa, dont c’est le logement. On sait aussi que Mohamed Abrini a fait deux séjours à cette adresse. C’est ce qu’il ressort de ses déclarations et de celles d’autres protagonistes. Il y aurait séjourné une première fois entre le 15 et le 21 mars 2016, puis une seconde fois après le 22 mars”, a expliqué la cheffe d’enquête.

“Osama Krayem y a également fait deux séjours, un premier entre le 15 et le 16 mars, puis un second d’environ 16 jours après le 22 mars. Outre les déclarations, cela se base sur les traces de son ADN qu’on retrouve là-bas. Bilal El Makhoukhi, quant à lui, est passé à cette adresse à plusieurs reprises, mais n’a vraisemblablement pas logé sur place”, a détaillé l’enquêtrice. “Najim Laachraoui aurait également fait deux apparitions : le 17 mars selon les données de connexion de sa clé USB, et le 19 mars, date à laquelle, selon les déclarations de certains, il y aurait conduit Osama Krayem et Mohamed Abrini. Je rappelle que son empreinte est aussi retrouvée sur un livre dans la chambre de l’appartement”.

Le cousin de Hervé Bayingana Muhirwa serait également venu déposer un sac à dos le 7 avril, à la demande de ce dernier. “Restent enfin les empreintes de Sofien Ayari et de Salah Abdeslam sur le livre intitulé ‘Les jardins des vertueux’, et celles de Bilal Hadfi [l’un des kamikazes des attentats à Paris] sur un autre, mais on ne peut pas en déduire qu’ils y ont été présents puisque ces objets ont pu se passer de main en main”, a poursuivi la cheffe d’enquête.

En conclusion, celle-ci a affirmé que ce lieu avait servi de planque et de lieu de repli d’urgence pour certains membres de la cellule, mais qu’il n’avait pas été un appartement “conspiratif”, autrement dit un lieu où les attentats ont été préparés.


18h44 : Les djihadistes belges étaient vus par l’État islamique comme peu éduqués et peu compétents

Les djihadistes belges étaient généralement considérés comme peu éduqués et peu compétents par le groupe terroriste État Islamique (EI), a expliqué jeudi après-midi l’islamologue Mohamed Fahmi. Peu d’entre eux occupaient des postes importants, a-t-il précisé.

Beaucoup de djihadistes belges ne connaissaient pas l’État Islamique et ne comprenaient pas le conflit syrien“, a expliqué M. Fahmi. Leur manque d’expérience militaire et de connaissances religieuses leur donnait une mauvaise image aux yeux de l’organisation, qui les traitait de manière utilitaire : “les femmes pour satisfaire la sexualité des combattants et pour la démographie, et les hommes pour des attaques suicides ou des tâches logistiques“. Selon lui, ce manque de considération concernait globalement tous les djihadistes européens.

L’Islamologue a également expliqué que le profil des djihadistes belges avait changé après les printemps arabes (une série de révolutions dans plusieurs pays du moyen-orient, NDLR), en 2011.

Avant, on avait des personnes issues de la première génération d’immigrés. Ils étaient arabophones et avaient une bonne connaissance de l’Islam et des enjeux socio-politiques. C’est l’époque où Al-Qaïda était l’organisation la plus connue. Après 2011, alors que l’EI monte en puissance, on a plutôt des gens issus des 2e et 3e générations qui n’ont qu’une faible connaissance de la langue, de l’Islam et des enjeux socio-politiques.”

La présentation a également été consacrée a l’explication de ce qu’est l’Islam, ses différents courants avec un accent sur la mouvance salafiste, soit un courant ultra-orthodoxe, fondamentaliste, qui prône une interprétation littérale du Coran et une vision sectaire de la vie sociale, et le djihadisme, une idéologie politico-religieuse qui prône l’instauration d’un régime politique islamiste par le biais du djihad armé. La combinaison de ces deux termes définit la vision de l’État Islamique.

M. Fahmi a par ailleurs retracé l’historique de l’organisation depuis son origine en 2004 jusqu’à l’adoption de son nom actuel en 2013. Il est également revenu sur le conflit syrien, qui a eu un rôle déterminant dans le développement de l’EI.

Certains profils pouvant favoriser une adhésion au djihad ont aussi été énumérées. L’islamologue a notamment évoqué les idéologistes, qui connaissent et adhèrent aux projets de l’EI ; les déviants, souvent atteint de troubles psychologiques, qui partent pour se battre et tuer; ou encore les désorientés, en quête de sens ou d’identité. Ces profils peuvent se combiner avec les défis amenés par la diversité, comme les préjugés et l’altérité, ou encore avec le rapport de l’Islam à la société, concernant la place de la femme, par exemple. M. Fahmi a toutefois précisé qu’il n’y avait pas de profil type mais bien une combinaison de plusieurs facteurs qui peuvent évoluer.

Questionné sur la possibilité pour les combattants belges partis en Syrie de revenir en Belgique en quittant l’organisation, M. Fahmi a expliqué que, à partir de 2014, les retours étaient beaucoup plus difficiles car l’EI confisquait les passeports. Ceux-ci n’étaient restitués que si le combattant était missionné pour retourner en Europe.

■ Reportage d’Arnaud Bruckner, Frédéric De Henau et Hugo Moriamé.

Avec Belga – Photo : Belga/Janne Van Woensel Kooy

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19 janvier 2023 - 16h45
Modifié le 20 janvier 2023 - 07h04