Procès des attentats de Bruxelles : les terroristes ont agi dans la précipitation après avoir été “cramés”

La cour d’assises de Bruxelles poursuivra ce mercredi l’exposé du contenu de l’ordinateur retrouvé dans une poubelle de la rue Max Roos à Schaerbeek. Photos, fichiers audio et vidéo : le PC regorgeait d’une mine d’informations permettant de contextualiser l’emploi du temps et les motivations des terroristes.

En principe, le sujet de l’ordinateur devait être évacué mardi après-midi, mais la cour a pris du retard sur le planning annoncé.

Le premier tiers d’un message audio de Najim Laachraoui a été décrypté par les enquêteurs. Ce kamikaze de Brussels Airport y explique avoir pensé remplir une camionnette de 600 à 700 kg de TATP pour la faire ensuite exploser, selon ses confidences à “Abou Ahmed”, le chef présumé de la cellule terroriste, qui se trouvait en Syrie.

Son analyse se poursuivra ce mercredi. Dans son message, le terroriste suggère également de passer à l’action durant l’Euro de football ou d’enlever une ou deux personnalités pour demander la libération de “frères” emprisonnés comme Mohamed Bakkali ou Mehdi Nemmouche.

Voir aussi : Procès des attentats de Bruxelles : l’ordinateur analysé

L’essentiel de la journée sera donc consacré à la suite de l’exposé sur les fichiers et informations retrouvés sur le PC de la rue Max Roos.

Ce chapitre terminé, la cour devrait alors aborder, si le timing le permet, le cas d’Ali El Haddad Asufi, ami proche d’Ibrahim El Bakraoui. Il lui aurait notamment rendu visite à de nombreuses reprises dans les mois qui précèdent les attaques de Paris et Bruxelles. Un lien possible entre cet accusé et l’acheminement d’armes pour la cellule terroriste a précédemment été évoqué par les procureurs fédéraux. Cette présentation devrait durer pas moins de six heures.

Le portrait et le parcours des autres accusés suivront dans les jours qui viennent.


11h31 : la cellule terroriste avait réfléchi à viser l’Euro 2016 de football ou à un kidnapping

La cellule terroriste avait réfléchi à viser l’Euro 2016 de football en France, afin que l’événement soit annulé, ou à kidnapper une ou deux personnes en vue de la libération de “frères” ou “soeurs” comme Mehdi Nemmouche, l’auteur de l’attentat au Musée juif de Belgique le 24 mai 2014. C’est ce qu’atteste un enregistrement audio de Najim Laachroui, l’un des kamikazes à Brussels Airport, diffusé mercredi matin devant la cour d’assises de Bruxelles.

Le fichier audio en question a été retrouvé sur l’ordinateur qu’avaient jeté les terroristes dans un sac poubelle rue Max Roos à Schaerbeek, d’où les kamikazes et l’accusé Mohamed Abrini sont partis vers l’aéroport le matin du 22 mars 2016.

Najim Laachraoui s’y adresse à “Abou Ahmed”, le chef présumé de la cellule terroriste, qui se trouve apparemment en Syrie. Il s’agirait d’Oussama Atar, accusé devant la cour d’assises mais qui y fait défaut. Selon les enquêteurs, il est présumé mort au combat.

Najim Laachraoui énumère plusieurs idées d’attentats. Il avait ainsi pensé remplir une camionnette ou une voiture de 600 à 700 kg de TATP, pour la faire exploser. Il demande également à son interlocuteur de mener des tests de TATP sous des rails à Raqqa. “C’est ce qui nous permet d’asseoir nos propos quand on dit que le destinataire est en Syrie“, a commenté Frédéric Vanesse, chef d’enquête adjoint à la police judiciaire fédérale.

L’artificier de la cellule propose d’y positionner “3-4 kg” de TATP sous chaque rail. “Si ça fonctionne, on mettra 10 kg sous chaque rail“, précise-t-il.

Dans une note écrite qui a servi de base pour l’enregistrement de ce message audio, Najim Laachraoui fait référence aux compagnies ferroviaires Eurostar en Angleterre et Thalys en France. Ces entreprises ne sont toutefois pas mentionnées à l’oral.

Le futur kamikaze relève qu’une telle attaque est compliquée à mettre en oeuvre, notamment car il faut une scie à plasma, très onéreuse, et parce qu’il y a un risque qu’elle soit découverte par du personnel de sécurité.

Estimant qu’un attentat en Angleterre est “trop risqué“, il explique ensuite que les “frères” préféreraient garder la Belgique comme base de repli et se focaliser sur la France, où il serait d’ailleurs bien d’avoir une planque afin de “travailler depuis là-bas“. “Faire des aller-retours chaque fois, c’est beaucoup de risques“, justifie-t-il.

La cellule visait plus précisément l’Euro de football qui y a eu lieu aux mois de juin et juillet 2016. Ils auraient agi afin d’annuler la compétition. “Ce serait la première fois qu’un Euro serait annulé de cette façon“, relève Najim Laachraoui dans son message audio, précisant que cela engendrerait des pertes financières importantes.

À ses yeux, une telle attaque servirait de “leçon à ceux qui s’engagent dans des frappes contre ‘Dawla’ (l’organisation terroriste État islamique, NDLR)”.

Toutefois, si la cellule venait à être débusquée et que les terroristes ne pouvaient “plus bouger“, il y a “assez de cibles, ici“, “ne t’inquiète pas“, assure à son interlocuteur celui qui se fera exploser quelques jours plus tard à l’aéroport de Zaventem.

Najim Laachraoui évoque ensuite un projet dont il a discuté avec les frères El Bakraoui: le kidnapping d'”une ou deux têtes” en vue de la libération de “frères” ou “soeurs” ayant “travaillé”. Il cite comme exemple Mehdi Nemmouche, l’auteur de l’attentat au Musée juif de Belgique à Bruxelles, et Mohamed Bakkali, l’un des logisticiens des attentats de Paris. “Ce serait une grosse victoire pour ‘Dawla’“, ponctue le futur kamikaze.

Pour le chef d’enquête adjoint, ce récit autour de potentielles actions est “structuré, posé, réfléchi“. Les propositions avancées restent toutefois soumises à l’approbation du chef de la cellule,l’émir” Abou Ahmed.

Le calme de ce premier enregistrement contraste cependant avec le message audio suivant, enregistré la veille des attentats et alors que les accusés Salah Abdeslam et Sofien Ayari ont été arrêtés à la suite de la fusillade de la rue du Dries. Cet affrontement avec les forces de l’ordre avait également coûté la vie à un autre membre de la cellule terroriste, Mohamed Belkaid.


12h47 : Les terroristes du 22 mars, “cramés”, ont agi dans la précipitation

Se sentant “cramés“, les auteurs des attentats ont agi dans la précipitation, ont déduit les enquêteurs sur la base d’un fichier audio envoyé en Syrie par Ibrahim El Bakraoui et Najim Laachraoui. Dans cet extrait diffusé mercredi matin devant la cour d’assises de Bruxelles, les deux hommes expliquent que “la situation est telle qu’on ne peut plus retarder quoi que ce soit“.

Le fichier audio en question, enregistré le 21 mars 2016, a été retrouvé sur l’ordinateur qu’avaient jeté les terroristes dans un sac poubelle rue Max Roos à Schaerbeek, d’où les kamikazes et l’accusé Mohamed Abrini sont partis vers l’aéroport le matin du 22 mars.

Najim Laachraoui et Ibrahim El Bakraoui, les deux kamikazes de l’aéroport, y détaillent la situation de la cellule. Ils y fixent la date des attentats, cette fois sans demander l’approbation de leur “émir”, le chef de la cellule terroriste.

Les deux terroristes expliquent leur précipitation par la diffusion de photos des frères El Bakraoui dans la presse, erronément présentés comme les fuyards de la rue du Dries.

Les armes ont tardé“, ajoute en outre Najim Laachraoui. Les terroristes vont dès lors utiliser les 130 kg de TATP, évoqués dans un précédent message audio. “La situation est telle qu’on ne peut plus retarder quoi que ce soit“, insiste Najim Laachraoui. Il n’y a plus de “frère” pour la logistique, “tout le monde est cramé“, ajoute-t-il.

Un peu plus tard, Ibrahim El Bakraoui explique travailler dans la “précipitation”. “On avait plein de plans, plein d’idées, plein de choses“, affirme-t-il. Mais les terroristes sont “obligés de travailler par peur de pourrir dans une cellule“.

Najim Laachraoui et Ibrahim El Bakraoui évoquent les cibles dans leur message. Il s’agira du métro et de l’aéroport, où, selon un “frère“, il y a des vols américain, russe et israélien dans la matinée. Acculée, la cellule perpétrera “cinq ‘dougmas’, direct“, c’est-à-dire des attentats-suicides avec charge explosive.

En raison de la présence de soldats à Brussels Airport et du manque de chargeurs et d’armes, ils ont décidé de ne pas utiliser de kalachnikovs avant de faire exploser leurs charges explosives. Pour maximiser les pertes, ils se fondront dans la foule et appuieront sur le bouton au dernier moment, simultanément, décrit Najim Laachraoui. Les deux terroristes disent encore avoir laissé des armes dans une cache pour des “frères”. Ils détaillent alors leur arsenal, comprenant, entre autres, des kalachnikovs.

Alors que dans un précédent enregistrement audio, quelques jours plus tôt, Najim Laachraoui apparaissait comme calme, déterminé et ordonné, dans celui-ci, il parle vite, et est agité et nerveux, a analysé l’enquêteur en chef adjoint Frédéric Vanesse lors de son témoignage devant la cour d’assises. Ibrahim El Bakraoui lui chuchote ce qu’il doit absolument dire et prend lui-même la parole à la fin.

Ce dernier indique alors ne pas comprendre ce qui est passé dans la tête de Salah Abdeslam et Sofien Ayari (dont le nom de guerre est “Abu Hamza”) lorsqu’ils ont pris la fuite lors de la fusillade rue du Dries à Forest. Le second avait une kalachnikov avec plusieurs chargeurs, argumente-t-il, et il n’y avait aucun moyen de communiquer avec eux, se plaint Ibrahim El Bakraoui.

Les enquêteurs soupçonnent qu’une troisième personne était présente au moment de l’enregistrement de ce second message, en plus de Najim Laachraoui et d’Ibrahim El Bakraoui, a encore expliqué l’enquêteur en chef adjoint Frédéric Vanesse. Il s’agirait de Mohamed Abrini, connu pour avoir séjourné lui aussi dans la planque de la rue Max Roos. Cependant, la voix de celui qui est également surnommé “l’homme au chapeau” n’apparaît pas dans l’enregistrement. Les deux auteurs du message disent toutefois de lui qu’il est “ici” et qu’il est “déterminé.

Quant à “Abou Walid”, soit Khalid El Bakraoui, et “Abou Omar”, c’est-à-dire l’accusé Osama Krayem, ils se trouvent dans une autre planque, entend-on encore à la fin du message audio. Il s’agit de l’appartement de la rue des Casernes à Etterbeek, d’où ils sont partis le 22 mars en direction du métro.


13h54 : Deux des accusés décrits par Najim Laachraoui comme des “frères” pour la logistique

Dans deux messages diffusés mercredi matin devant la cour d’assises par les enquêteurs, Najim Laachraoui parle d’un “frère” supplémentaire, surnommé “Amine”. Il est “motivé”, a prêté allégeance et fournit une aide logistique. “Il a aidé entretemps“, dit-il d’ailleurs. D’après les enquêteurs, il pourrait s’agir de l’accusé Hervé Bayingana Muhirwa, ce que ce dernier conteste. Il a été amené dans la cellule par “Abou Imrane”, identifié par les enquêteurs comme l’accusé Bilal El Makhouki, explique encore Najim Laachraoui.

Abou Imrane, un “frère de confiance qui a travaillé avec nous“, et Amine aimeraient faire le “sham”, c’est-à-dire rejoindre la Syrie, ou, à défaut, se rendre en Libye, poursuit Najim Laachraoui.

Ce dernier et Ibrahim El Bakraoui, qui s’adressent tous deux à “Abou Ahmed”, envisagent enfin un contact futur, après les attentats du 22 mars, entre cet “Abou Ahmed” et Imrane afin de récupérer des armes laissées dans une cache et recevoir des instructions. Ces messages n’ont jamais reçu de réponse, ont précisé les enquêteurs.

Dossier | Tout savoir sur le procès des attentats de Bruxelles

Avec Belga – Photo : Belga / Didier Lebrun