Logement : faut-il un plan Good Living après le plan Good Move ?

Le comité scientifique du logement, constitué pendant le premier confinement, vient de rendre son rapport. Il plaide au travers de 34 recommandations pour un travail profond en matière de gouvernance, de conditions de logement et de qualité architecturale.

Constitué au mois de juin à l’initiative du gouvernement bruxellois la suite de l’élaboration du plan de relance post-covid, le Comité scientifique du logement (CSL) avait pour mission d’analyser l’impact de la crise sanitaire sur la question du logement et plus largement du vivre en ville, et de proposer des réponses. Il s’agissait de « préciser les enjeux bruxellois de l’habitat et du lien à établir entre la question de l’habitat et du confinement. », de dresser des perspectives à plus longs termes sur les questions de logements dans le contexte de crise.  Le comité était constitué de sept experts belges et étrangers, tous issus du monde académique, et piloté par Benoit Moritz, architecte et urbaniste bruxellois.

Si mois après sa mise sur pied, le CSL accouchait fin décembre d’un rapport, assorti de 34 recommandations, soumis au gouvernement il y a deux semaines.

Inégalités

Au départ, ce constat, certes connu, mais mis en évidence par le contexte : la qualité et les conditions d’habitabilité des logements sont essentielles, et elles sont profondément inégales. A ce titre, la crise sanitaire a agi comme un révélateur et un facteur aggravant des inégalités socio-spatiales. A l’inverse « le bon logement et la qualité de l’environnement urbain ont agi comme des facteurs immunitaires de protection face au virus. », explique le rapport. L’impact de la crise se traduit donc par de profondes disparités entre les Bruxellois. Par contre, aucun lien ne peut être démontré entre densité habitée et propagation de la pandémie, assurent les experts.

Les recommandations proposées découlent de plusieurs enjeux identifiés par les experts du CSL. Notamment : l’urgence de répondre à la demande « sans cesse croissante » de logement abordables ; l’augmentation nécessaire de la qualité et des conditions d’habitabilité du bâti existant ; une réflexion sur les « dimensions spatiales » du logement et ses relations avec l’extérieur, sur les liens entre santé et architecture et urbanisme ; la nécessité de disposer d’une politique bruxelloise du logement plus structurée. Les scientifiques pointent en effet le manque de vision transversale entre les différents acteurs du secteurs, l’absence d’une vision globale.

Production de logements publics : une gouvernance défaillante

Face à la rareté des terrains disponibles pour la création de logements, et aux possibilité limitées de construire du logement abordable, les experts proposent de réserver dans le volet réglementaire des PAD (Plan d’Aménagement Directeur), outil de stratégie territoriale à longue échéance, un minimum de foncier destiné à la production de logements accessibles.

Ils proposent la création d’une « cellule opérationnelle logement », pour assurer l’implémentation du plan d’urgence logement. Cette recommandation s’est déjà traduite politiquement puisqu’elle a été intégrée au sein du PUL (Plan urgence logement), présenté par le gouvernement bruxellois au début de l’année.

Pour le CSL, il est urgent de sortir d’une « culture de la dérogation systématique au RRU (Règlement régional d’urbanisme) assez généralisée à Bruxelles » pour aller vers une application plus stricte de la réglementation, là où c’est possible (le RRU n’est pas opérationnel partout, certaines zones y échappent), à toutes les étapes de développement du projet. La valeur d’un terrain est déterminée par sa constructibilité. La densité est ainsi valorisable et encourage les dérogations aux règles de gabarit.

Le rapport propose une révision du mécanisme des charges d’urbanisme afin d’augmenter le nombre de logements publics. Les promoteurs ont aujourd’hui le choix de régler les charges d’urbanisme en nature (création de logements à finalité sociale) ou en numéraire et choisissent le plus souvent cette seconde option. Les experts du CSL proposent d’imposer des charges d’urbanisme en nature aux promoteurs dont le projet se situe dans une commune où le seuil des 15 % de logements sociaux n’est pas atteint.

“Contrôle technique du logement”

Pour améliorer la qualité et les conditions d’habitabilité du patrimoine existant, le CSL propose entre autres de renforcer la lutte contre l’insalubrité, en recommandant la mise en place d’un “contrôle technique” des logements en location. Les conditions de salubrité des habitations sont prévues dans le code bruxellois du logement. En cas d’insalubrité constatée, beaucoup de locataires renoncent à porter plainte par peur des représailles ou d’une expulsion. Avec ce “contrôle technique” du logement, « le propriétaire, dont au moins un des logements a été interdit par l’inspection régionale, doit prouver sa conformité au moment où il décide de le mettre en location. », précise le rapport.

D’autres recommandations se concentrent sur les mécanismes à mettre en place pour encourager la rénovation du parc de logements privés.

“Abri protecteur”

Enfin le CSL a travaillé sur la « résilience infrastructurelle du logement ». Ils proposent une série de réflexions pour permettre au logement de « retrouver à l’avenir son sens premier, celui de l’abri protecteur, tout en permettant à ses habitants de développer des interactions (sociales, physiques ou visuelles) entre eux et avec leur environnement. ».

Partant du constat que « peu de choses sont partagées au sein d’un même immeuble » et que l’absence de commun renforce l’isolement, le CSL insiste sur la nécessité de « reconquérir la dimension communautaire de l’immeuble, du collectif, en donnant plus d’importance à l’idée d’habiter ensemble. », en particulier dans le contexte de crise que nous connaissons. D’où l’idée de rendre les immeubles plus ouverts, plus en lien avec leur environnement et avec la nature; prévoir des espaces d’accueil plus spacieux, repenser la distribution des logements. « La distanciation sociale vécue comme une contrainte, constitue un outil de mesure intéressant démontrant à quel point les espaces d’accueil et de distribution, du hall d’entrée au palier d’étage, sont exigus et dépourvus de toute forme de générosité et de qualité alors qu’il conviendrait au contraire de les envisager comme autant de lieux où se poser et se rencontrer un moment. », note le rapport.

Et la maîtrise des loyers ?

Du côté des investisseurs privés et de la promotion immobilière, les réactions sont contrastées. Eric Verlinden, le CEO de Trevi, est d’avis qu’il faut relâcher les contraintes prévues par le RRU, notamment en terme de superficie. Il se réjouit dès lors que sa refonte soit sur la table du gouvernement bruxellois. « Si on veut éviter les dérogations, il faut un RRU en lien avec l’époque et avec ce que veulent les gens », estime-t-il : « certains peuvent se contenter de surfaces plus petites si cela leur permet de payer leur logement moins cher. » Améliorer la qualité architecturale ? « On se rejoint tous sur ce point ! » mais comment cela va-t-il ensuite se traduire sur le coût du logement ?, interroge-t-il. Il relève un certain nombre de points intéressants, à commencer par la méthodologie, le brassage d’idées. Et accepte l’idée de charges d’urbanismes payées sous formes de logements conventionnés, « à condition que l’effort ne soit pas unilatéral et que les normes de programmation par exemple soient moins contraignantes. »

Sur ce dernier point, l’UPSI, l’Union professionnelle du secteur immobilier, a un avis plus tranché : «C’est un sujet compliqué. La création de logements conventionnés ne se traduit pas de la même manière partout. L’impact financier de la mesure dépendra du prix du fonciers. Dans certaines zones du territoire, le manque à gagner pour le promoteur sera beaucoup trop important. », estime Pierre-Alain Franck, l’administrateur-délégué. Selon lui, il faut surtout donner aux promoteurs les coudées franches pour construire davantage afin d’augmenter l’offre de logement et ainsi agir sur les loyers.

Côté associatif, José Garcia, du Syndicat des Locataires se réjouit de lire dans le rapport du CSL « une foule de bonnes idées. », dont certaines, ajoute-t-il, figurent déjà dans le PUL.  Il salue, entre beaucoup d’autres recommandations, celles qui concernent les charges d’urbanisme, le contrôle technique du logement – « une de nos vieilles revendications ! » -, la qualité et l’habitabilité des habitation. Mais selon lui, le groupe d’experts passe à côté de la question fondamentale : comment maîtriser les loyers ? La question de la maîtrise des loyers n’est pas abordée dans le rapport, regrette-t-il.

Et maintenant ?

Le rapport et ses 34 recommandations sont désormais « étudiés » au niveau politique. « Il tombe à pic », nous répond-on au cabinet du secrétaire d’Etat bruxellois chargé de l’Urbanisme, Pascal Smet (one.brussels). Une refonte du RRU est en effet en cours et les recommandations seront discutées dans ce contexte « mais il est trop tôt encore pour dire ce qui sera repris dans la version définitive. », nous répond le porte-parole de Pascal Smet. Tandis qu’au cabinet du ministre-président, Rudi Vervoort (PS), on assure que « les recommandations seront analysées par les différents partenaires concernés. On verra ensuite lesquels pourront être mises en place. Sachant que certaines sont déjà intégrées au PUL. », indique la porte-parole de Rudi Vervoort.

Au-delà du rapport lui-même, Benoit Moritz, conçoit ce travail comme un outil de planification à long terme sur le logement : « Il n’y a pas aujourd’hui de vision globale sur la question. C’est cela qui fait défaut. Ce rapport doit permettre de définir une vision et de distribuer les rôles. » L’urbaniste plaide pour un plan Good Living pour le logement, à l’instar du plan Good Move pour la mobilité: « Nous avons voulu élargir le champs d’analyse, ne pas nous cantonner à la Covid mais plutôt envisager la réflexion sur le logement en ville face aux crises, qu’elles soient sanitaires ou climatiques. »

Sabine Ringelheim