L’éditorial de Fabrice Grosfilley : le gouvernement fédéral ne peut plus se cacher

Dans son édito de ce mercredi 20 septembre, Fabrice Grosfilley revient sur la décision de Nicole de Moor.

Cette fois, le gouvernement fédéral ne peut plus se cacher. La lettre ouverte signée par 30 professeurs de droit, et également par des avocats, ne pourra pas rester sans réponse. Les propos au vitriol de ces professeurs d’université qui parlent d’un viol de la démocratie et d’État de droit non respecté imposent à la coalition Vivaldi de faire son examen de conscience.

En cause : la décision de Nicole de Moor, secrétaire d’État à l’asile, de ne pas respecter un jugement du conseil d’État suspendant sa décision de refuser l’accueil des hommes seuls au sein du réseau Fedasil. L’accueil des demandeurs d’asile est un droit, garanti par la législation belge, mais aussi par les traités internationaux que nous avons ratifiés. Ce n’est pas une option, mais une obligation, mais le fédéral, depuis trop longtemps, feint de ne pas le savoir.

En indiquant qu’elle passerait outre cette demande de suspension et qu’elle n’appliquerait donc pas la décision du conseil d’État, Nicole de Moor a choqué les juristes.Le gouvernement fédéral persiste ainsi à violer l’un des principes démocratiques parmi les plus élémentaires, à savoir le respect des décisions de justice, noyau dur de l’État de droit” écrivent les juristes dans leur carte blanche.

“Dans un État de droit, un tel arrêt ne peut recevoir qu’une seule réponse de la part de l’exécutif : la suspension immédiate de la politique jugée illégale, quelle que soit l’option politique privilégiée pour la remplacer” expliquent les signataires de cette carte blanche qui est publiée ce matin par le Soir et le Standaard. Et ces professeurs de rappeler que ce qui caractérise l’État de droit, c’est bien un État qui se conforme aux décisions de justice, où les pouvoirs publics se soumettent au droit. Dans le cas contraire, c’est un État de police “qui utilise le droit comme un moyen de commandement à l’égard des sujets de droit, mais s’exonère lui-même du respect des règles qu’il édicte”.

Et les juristes de lancer un avertissement : ” le fait que l’exécutif méprise une décision rendue par une juridiction constitue une atteinte manifeste, et grave, au principe de l’État de droit. Ce qui n’est pas sans conséquence, notamment sur la confiance envers les institutions politiques.” En clair : le gouvernement fédéral est sorti des clous. Et les juristes de s’interroger : ” Lorsque nous enseignerons le principe de l’État de droit à nos étudiantes et à nos étudiants, qu’allons-nous donc bien pouvoir leur dire ? Devons-nous nous résoudre, lorsque nous cherchons des exemples de violations flagrantes du principe de l’État de droit, à nous dire qu’il n’y a plus besoin de nous référer à d’autres États ouvertement illibéraux ? “

Imaginer que la Belgique soit classée dans la même catégorie que la Hongrie de Victor Orban, ou la Pologne qui fait régulièrement l’objet de remarques ou d’avertissement de la part de l’Union Européenne, c’est bien la comparaison suggérée par les professeurs d’université. A moins qu’ils ne pensent même à des États totalitaires qui s’affranchissent totalement de tous scrupules vis-à-vis de la séparation des pouvoirs. Ce ne sont que des mots. Mais ces mots, ces concepts, ont du sens. Ils sont les éléments fondateurs de la démocratie à l’européenne. Depuis Montesquieu, Tocqueville, ou l’Anglais John Locke, on sait que la séparation des pouvoirs est le point central de nos systèmes politiques.

Ce principe qui a déjà été écorné pendant la gestion de la Covid-19 avec des décisions dont les bases ne semblaient pas toujours politiquement et juridiquement bien étayées, on pouvait encore le comprendre au nom de l’urgence sanitaire. Ici, il n’y a pas d’urgence, cela fait des années que le fédéral essaye de s’exonérer de ses obligations sur la question des demandeurs d’asile. Une abstention coupable qui disqualifie le monde politique : comment exiger du citoyen qu’il paye des impôts et respecte les lois, quand ceux qui les rédigent et veillent à leur application ne les respectent pas eux-mêmes ? A neuf mois d’élections cruciales, les partis de la Vivaldi ont désormais une responsabilité immense, celle de prouver que le royaume de Belgique est toujours un État démocratique. En écrivant ce genre de phrases, on ne peut qu’éprouver un sentiment de vertige.

Cette analyse n’est pourtant ni une surprise ni une nouveauté. Les avocats spécialisés, ceux qui travaillent notamment aux côtés des associations qui viennent en aide aux demandeurs d’asile, les organisations non gouvernementales spécialisées dans le respect des droits humains l’ont développée depuis longtemps. Des hommes et des femmes politiques aussi se sont exprimés sur le sujet dans le même sens, souvent depuis les rangs de l’opposition, parfois même dans la majorité. Cette fois, on trouve dans la liste des signataires les noms de Françoise Tulkens, Marc Verdussen, Anne-Emmaneulle Bourgaux, Marc Uyttendaele, Céline Romainville, bref tout ce qui se fait de mieux en termes de connaissance du droit.

Le gouvernement fédéral est donc appelé à se ressaisir. Et s’il ne le fait pas, il faudra que nos regards se tournent vers l’action des députés. Quand l’exécutif dérape, c’est le rôle du parlement de le rappeler à l’ordre. Ça aussi, c’est une question d’équilibre des pouvoirs et de contrôle du gouvernement. Ce mercredi matin, c’est l’ensemble du personnel politique qui doit faire face à ses responsabilités. Ou bien maintenir une politique qui flatte une partie de l’électorat et masque un manque de volonté politique et une incapacité à anticiper des crises prévisibles, mais qui bafouent l’État de droit. Ou bien changer de politique et se montrer, enfin, un minimum légaliste à défaut de vouloir être digne et responsable.

Fabrice Grosfilley