L’éditorial de Fabrice Grosfilley : école et violence
L’affaire se passe en Wallonie, mais elle aurait pu se passer à Bruxelles. Hier matin, quatre écoles de la ville de Charleroi ont fait l’objet de tentatives d’incendie. Des départs de feu en pleine nuit, qui ont causé quelques dégâts, des traces de produit accélérant ont été retrouvées. Des slogans peints sur les murs ” No Evras”, indiquent une référence au cours d’éveil à la vie relationnelle, effective et sexuelle dont on a beaucoup parlé ces dernières semaines. Les dégâts sont essentiellement matériels, avec plusieurs classes qui sont désormais inutilisables. Cela aurait pu être plus grave, les pompiers sont intervenus rapidement, et sur un des sites, un gardien dormait dans l’école, par chance, il n’y a donc pas de blessés.
“Ce sont des actes d’une gravité absolue : des incendies criminels sur des lieux sacrés que sont les écoles. Et le fait de s’attaquer aux libertés publiques, c’est de la barbarie, je dirais même que c’est une forme de terrorisme », a déclaré Paul Magnette le bourgmestre de Charleroi. Terrorisme, le mot peut paraitre fort. Il ne l’est peut être pas tant que cela, si on prend en compte l’intention politique qui semble avoir animé les auteurs. On va rester prudent puisque l’auteur ou les auteurs de ces incendies n’ont pas encore été identifiés. Mais s’ils se confirme que leur but en incendiant des écoles est bien de faire obstacle à l’application du programme scolaire en général (et de l’Evras en particulier), oui, la notion de terrorisme pourra bien être retenue. Le terrorisme c’est l’usage de la violence pour atteindre un but politique. C’est bien de cela dont il s’agit ici, une attaque contre le principe de démocratie, dont on ne reconnait plus la légitimité pour gouverner, et la volonté d’imposer ses idées, fussent-elles minoritaires, par la force. Cela pose question sur la hiérarchie de valeurs de ceux qui ont perpétré ces attaques et qui estiment que s’opposer à un cours d’éducation sexuelle l’emporte sur les bienfaits que l’école apporte chaque jour à des centaines de milliers d’enfants.
Cette montée d’un cran dans la violence politique on l’observe déjà depuis très longtemps sur les réseaux sociaux. Où on s’invective, on s’agresse , on s’insulte. Et où, à force de faire dans la caricature, de se laisser emporter par la propagande, on finit par ne plus distinguer le vrai du faux. Sur l’Evras, énormément de fausses informations ont circulé. On allait inciter les enfants à s’échanger des nudes (des photos dénudés). On allait leur expliquer d’emblée qu’il était possible de changer de sexe si on en avait envie, on allait les encourager à devenir homosexuel leur donner l’adresse de sites pornographiques… Tout cela est faux, archi-faux. Mais les militants de la cause vous enverront des brides de documents ou des liens qui prétendent vous prouver le contraire. L’Evras est un programme qui permettra aux enfants de poser des questions aux intervenants qui viendront en classe. Ces professionnels répondront aux questions des enfants avec les mots adéquats en fonction de leur âge et des inquiétudes qu’ils expriment. Tous ceux qui affirment que ce programme a pour but de bourrer le crâne des enfants, de les inciter à la débauche, de peser d’une manière ou d’une autre sur les orientations sexuelles vous mentent et vous manipulent, ils essayent de faire obstacle à l’implémentation de ces cours pour des raisons philosophiques et politiques.
Il faut dire clairement qui est derrière cette entreprises de déstabilisation : il s’agit des milieux (ultra) conservateurs, liés à la manif pour tous en France, aux catholiques les plus traditionalistes en Belgique, aux tenants d’un islam conservateur (voir radical dans certains cas) qui ne veut pas se soumettre aux législations belges, à des mouvements d’extrême-droite. Des organisations plus ou moins structurées, qui en tordant un peu (ou parfois beaucoup) la réalité de départ arrivent à mobiliser pas mal de monde contre l’Evras. Les mêmes groupes seront contre le mariage homosexuel, considèrent souvent que les femmes ne doivent pas avoir les mêmes droits que les hommes, le justifiant par une différence “biologique”, et voient dans la sexualité, soit l’accomplissement de la volonté d’un dieu (qui n’est pas le même pour tout ces groupes, mais c’est un détail), soit une activité qui doit servir uniquement à la reproduction, quand il ne s’agit de voir les relations sexuelles comme un un territoire où l’affirmation des désirs masculins ne devrait pas rencontrer d’entraves avec un discours de sexisme et virilisme assumé.
Pour tous ceux qui sont à mille lieux de ces visions et qui veulent que l’école soit au contraire un lieu qui aide à l’émancipation, au vivre-ensemble et à la tolérance, un lieu qui expliquera aux enfants que la sexualité est le lieu du consentement, où il faut être deux à vouloir faire quelque chose pour que ce quelque chose se passe, que, oui, on a le droit d’aimer quelqu’un du même sexe, sans que cela soit ni tabou ni encouragé, et qu’on a même le droit d’aimer personne parce que la sexualité n’est pas une obligation. Pour tous ceux qui sont attachés à cela, ces incendies sonnent comme un coup de poing en plein figure. Ils démontrent par l’absurde combien en matière de sexualité notamment, nous avons besoin d’une éducation à la tolérance. L’éducation, c’est le boulot le d’école (ce qui ne veut pas dire que les parents ne doivent pas s’en charger également). Et peut être que certains adultes devraient bénéficier de cette éducation aussi.