L’édito : l’abattage rituel, les majorités alternatives et la crise de trop

Le parti socialiste ne votera pas l’interdiction de l’abattage rituel. L’information n’est sans doute pas tout à fait une surprise, mais elle est confirmée ce matin par un article à la une du journal le Soir.

Pas tout à fait une surprise, parce que les propos de plusieurs ténors du parti socialistes ces derniers mois indiquaient clairement tout le mal qu’ils pensaient de cette interdiction. Ridouane Chahid, le chef de groupe, ou Ahmed Laouej, président de la fédération bruxelloise du PS se sont notamment exprimés sans ambiguïté sur cette question. La nouveauté apportée par le journal Le Soir réside dans  la décision d’appliquer une discipline de vote sur cette question. Il n’y aura donc pas de vote à la carte en fonction des sensibilités personnelles des députés, mais une consigne qui devrait s’appliquer à l’ensemble des 16 socialistes qui siègent au parlement bruxellois. On dit bien devrait, parce qu’après tout un député à toujours le choix de ne pas obéir aux consignes… à lui d’en assumer les conséquences.

Cette précision apportée par le Soir ne change pas fondamentalement grand-chose à la complexité de ce dossier. Avec une proposition d’interdiction portée par Défi au nom du bien-être animal, cosignée par Groen et l’open VLD, dont on sait qu’elle  aura aussi  le soutien des députés réformateurs, à une ou deux exceptions près, alors que le PTB votera contre, comme le PS, que  les Engagés réservent leur réponse et le groupe Ecolo devraient se couper en deux. Si on fait les comptes on devrait avoir une courte majorité en faveur de l’interdiction de l’abattage sans étourdissement. Mais cela reste un vote incertain où il faudra tenir compte des absents et des abstentions.

Toute la question c’est maintenant de savoir si ce vote aura réellement lieu. La première étape dans ce dossier sera d’abord d’organiser des auditions. Le vote en tant que tel n’est donc pas pour tout de suite. En décidant d’annoncer une consigne de vote le Parti Socialiste bruxellois envoie surtout un message à ses partenaires de majorité. Il ne considère pas ce dossier comme un détail insignifiant. Au contraire il en fera un argument de campagne, le mettre à l’agenda du parlement alors qu’il n’était pas prévu dans l’accord de gouvernement c’est donc  prendre le risque de déchirer la majorité. Dans un exécutif bruxellois qui ne manque pas de tensions ce n’est pas anodin. Cette majorité s’est déjà plus que chamaillée autour de la taxe auto intelligente, du dossier Uber, du Covid Safe Ticket, du prix du stationnement,  de l’’indexation des loyers et je ne vous parle pas du Champ des Cailles  ou de la friche Josaphat. On peut continuer à gouverner de crise en crise, jusqu’au moment ou c’est la crise de trop.

Dans les prochains jours vous aurez d’un coté des élus qui accuseront le camp d’en face de faire du communautarisme en allant draguer l’électorat religieux, de l’autre des partis qui crieront à l’instrumentalisation et au racisme larvée. On s’accusera mutuellement de jouer avec le feu et tout le monde se raidira sur sa position.  Qu’il y ait un débat tendu sur une question aussi compliquée n’est pas un scandale en soi. Après tout sur ce problème,  on a d’un coté la liberté de religion, de l’autre le bien être animal, ce sont deux valeurs tout à fait respectables. Même au sein des partis politiques tous les mandataires ou militants ne sont pas toujours alignés. La difficulté c’est qu’en ne l’ayant pas traité dans l’accord de gouvernement la majorité bruxelloise a  laissé le problème pourrir, et que s’exposer à une majorité alternative est toujours un risque pour un gouvernement en place : au mieux c’est un dégât d’image, au pire la fin d’une coalition.

Dans ce paysage assez délétère il y a un petit détail qui vous a peut être échappé. C’est la plainte introduite  il y a dix jours par 9 belges de confession juive devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (l’abattage sans étourdissement est pratiqué dans les religions juive et musulmane). Ils estiment que l’interdiction d’abattage rituel déjà décidée par les régions wallonnes et flamandes porterait atteinte à leur liberté de religion. Dans le passé la Cour de Justice Européenne avait estimé que ce n’est pas le cas, on pourrait donc penser que l’affaire est close. Mais comme il s’agit pas de la même juridiction (la Cour de Justice Européenne siège à Luxembourg et  dépend de l’Union Européenne, la Cour Européenne des Droits de l’Homme est installée à Strasbourg et relève du Conseil de l’Europe) on ne peut jurer à l’avance qu’elle aboutira à la même conclusion. Si  cette cour décidait d’instruire ce dossier, cela lui prendrait deux à trois ans. Ce serait un bon prétexte pour renvoyer le débat à la prochaine législature. Même si sur le fond ça ne résoudrait absolument rien.

L’édito de Fabrice Grosfilley