L’édito de Fabrice Grosfilley : par la porte ou par la fenêtre ?

Le code du bien-être animal de nouveau à la une de l’actualité politique bruxelloise. On croyait le dossier définitivement enterré. Rudi Vervoort avait été clair sur la question, il ne voulait pas que ce texte revienne au parlement en plein campagne électorale. Pas qu’il soit contre le code, tout le monde est plutôt d’accord avec son contenu, mais parce qu’il est contre le risque de devoir à nouveau parler de l’étourdissement avant abattage (qui n’est pas dans le texte mais risque de revenir par le biais d’un amendement). Pour le PS, ce débat était tranché, c’est le cas de le dire, il ne fallait donc pas le rouvrir, et ce serait malsain de le faire en pleine période électorale. Et comme aucun partenaire de majorité ne voulait s’engager à ne pas voter les amendements en question, le texte était donc bloqué, le point reporté semaine après semaine.

Hier, nouveau rebondissement. Puisque le texte n’arrive pas par le canal gouvernemental, certains de ses partisans vont le faire passer par la voie parlementaire. Ce n’est donc plus un projet d’ordonnance porté par le gouvernement, mais une proposition d’ordonnance qui est déposée par des députés, essentiellement membres de l’opposition. On retrouve derrière cette initiative le Mouvement Réformateur, la N-VA et le CD&V. Il faut y ajouter le socialiste Julien Uyttendael qui est en marge de son groupe sur ces questions (et qui ne se représentera d’ailleurs pas aux prochaines élections). Bref,  le texte bloqué par Rudi Vervoort vient de ressurgir là où on ne l’attendait pas. Avec tous les risques de dérapages (traduisez amendements) que le PS bruxellois voulait justement s’éviter. Si ce texte venait effectivement à être discuté en plénière, il y aurait à coup sur des amendements pour tenter d’y ajouter une interdiction de l’abattage sans étourdissement. Le débat risquerait de s’enflammer (c’est passionnel) et l’issue du vote deviendrait incertaine. On sait que dans la majorité une grande partie des parlementaires Défi et une moins grande partie des parlementaires Ecolo seraient sans doute enclins à le voter. Le PS qui s’est posé en rempart et défenseur de cette pratique religieuse risquerait cette fois-ci d’être mis en minorité.

La manœuvre des opposants MR-N-VA-CD&V est donc habile et surprenante. Habile parce qu’elle rouvre un dossier qu’on pensait définitivement clos et qu’elle remet la majorité en difficulté : ce feuilleton qui a déjà provoqué beaucoup de tensions va donc empoisonner le majorité bruxelloise jusqu’aux derniers moments de la législature. Surprenante parce qu’il n’est pas courant que des partis d’opposition se saisissent d’un texte qui émane de la majorité (le code du bien-être animal est un projet préparé par le ministre Bernard Clerfay), pour se l’approprier et tenter de le faire adopter. Cette manœuvre pose d’ailleurs question. S’agit-il réellement du texte gouvernemental, et si oui comment des partis d’opposition ont-ils pu y avoir accès ? Ça veut dire qu’il y a dans la majorité quelqu’un qui joue à Machiavel et a décidé d’alimenter  ses opposants. Ou que cette opposition a des moyens d’espionnage digne du “bureau des légendes” pour mettre la main sur un document auquel elle n’aurait pas du avoir accès. Le parlement bruxellois est en train de s’inviter dans un épisode de “les traitres”, mais le traitre en question a intérêt à ne pas être démasqué.

Deuxième question sur toutes les lèvres :  le timing. Cette semaine le parlement est en congé. La prochaine séance est pour le 19 avril. Il faudra alors voter la prise en considération de cette proposition. C’est la première étape. Ensuite, on pourra se saisir du texte en commission. Il faudra une majorité pour le faire monter sur le dessus de la pile. Puis, éventuellement, s’il est adopté, avec ou sans amendement, le renvoyer en séance plénière. Et aboutir à un vote définitif pour la séance du 3 mai qui est théoriquement la dernière de la législature. Théoriquement c’est possible. À un détail près : il est de coutume qu’on demande l’avis du Conseil d’État pour s’assurer de la solidité juridique d’une telle ordonnance. En particulier quand on est dans un domaine aussi sensible. Cette demande d’avis peut intervenir sur le texte en lui-même. Ou sur les propositions d’amendements. Ou sur les deux. Et dans ce cas là, même avec une demande d’examen en urgence,  le délai ne pourrait probablement pas être tenu. Le code du bien-être animal en Région bruxelloise est un feuilleton à rallonge, est un mélange de marathon et de Paris-Roubaix avec des pavés glissants et des crevaisons, mais sans que l’on sache à l’avance qui va gagner.

Deux réflexions pour conclure. On est pas sûr que ce thème du bien-être animal et de l’abattage rituel mérite autant d’attention et d’implication politique. On aurait peut être préféré que l’emploi, la lutte contre la pauvreté, la mobilité ou la qualité de l’air mobilisent autant d’énergie et d’ingénierie politique. Seconde observation : dans ce dossier, le vrai pouvoir se trouve finalement au parlement. On a parfois tendance à l’oublier en Belgique. Dans un système ou ce sont les états-majors des partis politiques qui prennent les grandes décisions et où les parlementaires sont souvent contraints de respecter cette fameuse discipline de parti. Ce système fonctionne tant que les états-majors sont d’accord entre eux. Quand ils ne le sont plus, cela laisse plus d’espace aux parlementaires. La politique devient alors moins prévisible, moins lisible peut-être, encore plus compliquée à suivre et à décoder. Mais elle se rapproche de ce qu’est l’esprit de la démocratie représentative. C’est le parlementaire qui reçoit la délégation de pouvoir du citoyen par l’intermédiaire du vote. Pas le président de parti. Que les parlementaires reprennent le pouvoir qui est le leur, c’est finalement salutaire.