L’édito de Fabrice Grosfilley : un gouvernement bruxellois, c’est urgent

L’urgence est là. La nécessité d’avoir un gouvernement bruxellois de plein exercice est devenue une nécessité. Une urgence si l’on veut pouvoir faire face efficacement aux défis qui s’accumulent. Un impératif si l’on veut sortir du bricolage institutionnel dans lequel nous nous installons. Cet impératif, cette urgence, c’est l’actualité du moment qui frappe à la porte des décideurs bruxellois.

Première urgence : l’avenir du site Audi Forest. On apprend ce matin dans le journal L’Écho que le formateur David Leisterh a chargé Pierre Hermant de lister les repreneurs potentiels du site. Pierre Hermant est l’administrateur délégué de Finance & Invest Brussels, la société régionale d’investissement, une société anonyme d’intérêt public, le bras financier de la région, en mesure d’investir dans des entreprises considérées comme stratégiques pour l’avenir de la région. Un homme qui connaît très bien le tissu industriel et entrepreneurial. On ajoutera que Pierre Hermant a travaillé par le passé à la FEBIAC, la fédération des entreprises de l’automobile, il connaît donc particulièrement bien la matière. C’est à ce titre que Pierre Hermant a rencontré la direction d’Audi en compagnie de David Leisterh la semaine dernière. Il indique également au journal L’Écho avoir d’ores et déjà pris contact avec la Banque Européenne d’Investissement. Pour l’instant, c’est toujours Audi qui a la main sur l’avenir du site, mais on se prépare à prendre le relais au cas où il ne se passerait rien du côté d’Audi.

Cette désignation est donc plutôt une bonne nouvelle. Le signe que les décideurs bruxellois se préoccupent du dossier et préparent un plan B pour ne pas se retrouver le bec dans l’eau. Le problème, c’est que c’est une désignation informelle. David Leisterh n’est pas ministre-président. Pierre Hermant se profile comme facilitateur ou coordinateur du dossier sans en avoir le titre. Sa légitimité à intervenir pourrait être contestée. Et on n’est jamais à l’abri d’une hypothèse, peu probable mais qu’il faut envisager malgré tout, où David Leisterh n’arriverait pas à former de gouvernement. Ou que la compétence de l’économie échoue à un partenaire qui souhaite travailler avec un autre représentant sur ce dossier. La mission Hermant est à la fois économiquement et stratégiquement indispensable, et pourtant elle apparaît ce vendredi juridiquement et politiquement bancale. La seule manière de s’en sortir sera qu’un ministre de plein exercice nomme Pierre Hermant, ou quelqu’un d’autre, au poste de “Monsieur Audi”.

Deuxième urgence que l’on peut épingler ce matin : la question de la sécurité. Avec trois séries de coups de feu en quelques jours, dont une qui a visé une patrouille de police, les trafiquants de drogue se rappellent à notre bon souvenir. On en parlait déjà hier dans cet éditorial, la sécurité reste un enjeu majeur. Il serait donc nécessaire de réfléchir à notre stratégie régionale de sécurité, même si une grande partie de la réponse dépend des autorités fédérales. Les membres de l’opposition d’hier n’ont pas ménagé leurs critiques à l’encontre de Rudi Vervoort dans ce dossier, lui reprochant de ne pas en faire assez. Il rétorquait qu’il faisait tout ce que ses compétences lui permettaient de faire. Le ministre-président est en affaires courantes. Il importe donc d’avoir un nouveau gouvernement, avec un nouveau responsable de la sécurité, qui pourra, dans les compétences qui sont les siennes, réunir rapidement la conférence des bourgmestres et le Conseil régional de sécurité. Notre politique des hotspots porte-t-elle ses fruits ? Faut-il la modifier ? Ce sont des questions qui se posent aujourd’hui. Et on ajoutera que le nouveau ministre-président aura aussi la responsabilité d’exiger du niveau fédéral qu’il réinvestisse dans la justice, dans la police et dans les services sociaux qui doivent être mobilisés sur ce dossier.

Vous voulez encore un exemple ? Les primes Rénolution. Il a été convenu hier que le gouvernement en affaires courantes procéderait au paiement des primes dues en 2024. Ce paiement avait été suspendu faute d’enveloppe suffisante, il manque environ 7 millions. C’est le ministre du Budget, Sven Gatz, qui a été chargé de trouver les 7 millions en question par un ajustement budgétaire. Cet ajustement devra ensuite être validé par un vote du Parlement régional. Une sorte d’ingénierie politique dont la Belgique a le secret, puisqu’un gouvernement en affaires courantes n’est pas compétent pour modifier le budget. Qu’il faille développer des trésors d’imagination institutionnelle pour contourner le blocage est une nouvelle preuve de l’urgence qu’il y a désormais à former un gouvernement.

Ce vendredi, à dix jours des élections communales, on appelle donc les formateurs bruxellois à prendre conscience de la situation extrêmement inconfortable dans laquelle se trouve la Région bruxelloise. Audi, la sécurité, le budget, et ce n’est peut-être pas fini. Il nous faut un gouvernement de plein exercice pour répondre à tous ces défis. On appelle donc nos partis politiques, qu’ils soient grands ou petits, à sortir de leurs postures viriles et de leurs déclarations de campagne. Rangez les petites phrases et les positions de blocage, concentrez-vous sur l’essentiel et pas sur l’accessoire, fût-il symbolique. Audi et la sécurité des Bruxellois nous semblent au moins aussi importants que de savoir si l’on gardera l’étiquette Good Move ou non. Acceptez le résultat des urnes et respectez la réalité institutionnelle, même si l’on pourrait en souhaiter une autre.  Quittez les tranchées et faites bouger les lignes. Négociez donc, et vite. Ne nous obligez pas à afficher le compteur de ces jours sans gouvernement, qui soulignerait votre incapacité à gouverner. Nous avons voté le 9 juin. Cela fait déjà 117 jours que la Région bruxelloise est sans gouvernement.

 

Fabrice Grosfilley