L’édito de Fabrice Grosfilley : Trump coupable

C’est donc une première, et les commentateurs n’hésitent pas à employer le qualificatif d’historique. Donald Trump a été déclaré coupable hier par le tribunal pénal de New York. Les 12 jurés, qui devaient statuer à l’unanimité, n’ont pas tremblé ni été impressionné. Ils estiment que l’ancien président américain est bien fautif pour les 34 chefs d’inculpation pour lesquels il était poursuivi : 34 délits de falsification de documents comptables, destinés à cacher un paiement de 130 000 dollars à l’actrice de films X Stormy Daniels. Les faits remontent à la campagne électorale de 2016, lorsque le candidat Trump, quelques mois avant l’élection, voulait éviter que la relation sexuelle qu’il avait eue avec cette actrice ne soit mise sur la place publique et que cette aventure ne ternisse la fin de sa campagne électorale. En théorie, Donald Trump risque désormais jusqu’à 4 ans de prison. Cela pourrait aussi être une peine avec sursis ou des travaux d’intérêt général. La peine sera connue le 12 juillet.

Cette condamnation devrait être embarrassante. On a désormais affaire à un ancien président, de nouveau en campagne pour essayer de décrocher un nouveau mandat, reconnu coupable de falsification de documents. Pour être clair, on peut reprocher à Donald Trump d’avoir voulu étouffer une affaire qui le concernait, d’avoir payé la principale accusatrice, et d’avoir ensuite fait le nécessaire pour essayer de dissimuler les preuves de son intervention. Si on pousse le bouchon, on pourrait même dire que c’est son élection de 2016 qui est entachée par ce verdict, puisqu’il apparaît qu’un élément important, un élément qui aurait pu être clé pour certains électeurs, a été soustrait à la connaissance du public américain par une manœuvre politique. Entendons-nous bien, ce ne sont pas les aventures sexuelles de Donald Trump qui posent question ici, même si on sait que les Américains n’ont pas la même tolérance que les Européens sur la vie privée de leurs dirigeants. C’est bien le fait que le président américain a fait pression pour que la vérité ne soit pas connue, le fait qu’il ait payé un témoin pour la faire taire.

J’ai employé le conditionnel, cette condamnation devrait être embarrassante, parce qu’on n’est pas certain qu’elle le sera vraiment. Pas certain en tout cas qu’elle soit de nature à détourner les électeurs d’un vote en faveur de Donald Trump. Le milliardaire américain a l’art de retourner les événements à son avantage. Si, pendant le procès, Donald Trump a renoncé à prendre la parole, gardant le silence et refusant de témoigner, il a en revanche communiqué hier soir, quelques minutes après le verdict. “Je viens juste d’être condamné dans un procès politique truqué s’apparentant à une chasse aux sorcières : je n’ai rien fait de mal”, a expliqué l’ancien président. Quelques minutes après, le site de campagne du républicain a commencé à rediriger les internautes vers une page de levée de fonds sur laquelle il se targue d’être un “prisonnier politique”.

Il n’est donc pas exclu que le président américain, en jouant la victimisation et en dénonçant une chasse aux sorcières, arrive à galvaniser ses partisans. Donald Trump, qui ne recule devant rien, s’était même comparé à Nelson Mandela en avril dernier. Pour rappel, Nelson Mandela est quand même resté 27 ans en prison pour avoir dénoncé l’apartheid en Afrique du Sud. Son rival, le président Joe Biden, était donc prudent ces dernières heures. “Il n’y a qu’un moyen de garder Donald Trump hors du bureau ovale : dans les urnes“, a lancé l’équipe de campagne du président sortant sur X (anciennement Twitter).

C’est tout le paradoxe de ce climat extrêmement passionnel et particulièrement clivé qui existe désormais dans la politique américaine. On est d’un camp ou de l’autre. On est tellement persuadé d’être dans le camp du bien et que les autres sont dans le camp du mal, qu’on n’écoute plus les discours rationnels. À tel point qu’une décision de justice, pourtant indépendante, prise à l’unanimité par 12 jurés tirés au sort, et que la défense comme l’accusation ont pu écarter lors de la constitution du jury, puisse être présentée comme partiale, instrumentalisée ou non pertinente. C’est la théorie du complot à grande échelle. Le clivage permanent. Le déni de réalité où l’on hurle “fake news” à chaque fois qu’une information vous contrarie. La remise en cause de la presse et de la justice. L’invention d’une vérité alternative. Tous ces éléments du discours trumpien ont fini par convaincre une partie substantielle de l’opinion qu’il valait mieux se méfier de tout sauf de Trump et que même la justice n’est plus digne de confiance. Faire du bruit en permanence, cela débouche au final sur un épais brouillard. Ça se passe aux États-Unis aujourd’hui. Il n’est pas exclu que ça se passe chez nous, un jour.

Fabrice Grosfilley