L’édito de Fabrice Grosfilley : tant d’écrans

C’est un reportage édifiant qu’on pouvait lire dans le journal Le Monde de ce weekend  Une plongée dans les consultations pédiatrique d’un hôpital de Bondy près de Paris. Les médecins y reçoivent des familles, parents et enfants, lorsqu’on se rend compte que ces enfants ont développé une dépendance aux écrans qui devient si importante que cela nuit à leur développement. On parle ici de très jeunes enfants de  2, 3 ou 4 ans.

Le reportage commence avec Yarone. Il a 26 mois. Un peu plus de 23 ans. Yarone ne sait pas pas parler. Il grommelle. Il chantonne aussi. Ce qu’il essaye de chanter ce sont des mélodies qu’il a entendu sur YouTube. Chez Yarone il y-a un écran de télévision, qui restait allumé tout l’après-midi. Yarone était devant, il ne voulait pas en décrocher. Alors oui Yarone chantonnait beaucoup. Mais il ne regardait plus vraiment ses parents, il ne souriait plus. Le bébé joyeux qu’il avait été était en train de s’éteindre et de se renfermer sur lui- même explique sa mère. Lorsque ses parents ont décidé d’éteindre la télé… cela a été la crise, il a piqué de grosses colères. “On aurait dit un drogué, il était en manque” témoigne sa maman qui a préféré garder l’anonymat. La famille s’est donc retrouvée à l’hôpital pour cette consultation.

Yarone n’est pas un cas isolé. Des enfants qui ne parlent pas, qui sont colériques, ces médecins de  l’hôpital de Bondy en voient défiler beaucoup. On fait la file dans ce service, et les petits patients sont de plus en plus jeunes. Dans certains cas ils souffrent d’un trouble autistique. Dans d’autres c’est une addiction aux écrans développée très tôt qui les a coupé du monde. Un enfant laissé seul devant un écran n’apprend pas. Il répète ce qu’il entend  “C’est du temps pris sur les interactions familiales, les activité propices au développement psychomoteur et affectif” explique la pédiatre interrogée par le journal Le Monde.

On ne jette pas la pierre aux parents. S’occuper d’un enfants quand on travaille, qu’on a d’autres problèmes à gérer c’est pas si facile. En moyenne, un enfant de deux ans est déjà exposé aux écrans pendant 56 minutes par jour. C’est un chiffre moyen tiré d’un étude française, mais  il n’y-a pas de raison que la Belgique affiche un résultant très différent. Certains enfants à 2 ans, passent déjà 4 heures par jour face à un écran, le plus souvent la télévision, parfois une tablette. C’est le programme TV, des dessins animés plus ou moins éducatifs ou abêtissants, des clips vidéos, des documentaires. Et quand on coupe l’écran l’enfant fait une crise, alors on le laisse allumé.

En lisant cet article j’ai aussi pensé aux adultes. Au temps que nous passons nous aussi sur les écrans. Et personnellement j’en suis un gros consommateur. La télévision (pour les JT), l’ordinateur (mon outil de travail) la presse en ligne, le site de BX1, le smartphone (pour les réseaux sociaux), la tablette.  J’y passe la moitié de ma journée moi aussi. Pour m’informer, me distraire, jouer. Je dois dresser ce constant, et je pense que nous sommes nombreux à pouvoir le partager : je passe beaucoup plus de temps que je ne le pense sur les écrans. Ils occupent dans ma vie une place que je leur ai pas consciemment concédée. Ils s’imposent à moi, ils empiètent sur d’autres activités. C’est toute l’habileté des grandes firmes , fabricants  de smartphones, développeurs d’application, producteurs de contenus : capter notre attention et ne plus nous lâcher. Prendre notre temps et nous amener à voir des publicités, des publications, des vidéos qui défilent et s’imposent à nous sans que nous ne les ayons véritablement choisis.

Au final nous finissons par ingurgiter quantité des contenus que nous  n’avons pas choisi. Je ne crois pas à la grande machination , destinée à nous abêtir  et à nous manipuler. C’est plus simple et plus cynique : il s’agit juste, à ce stade, de gagner un maximum d’argent en nous gardant un maximum de temps. Mais cela crée les conditions d’une mise sous influence potentielle. Influencer nos loisirs, nos gouts, nos désirs, nos opinions, nos émotions. Peut-être qu’effectivement, demain, nous deviendrons plus facilement orientables ou manipulables parce que nous confondrons le monde réel avec ce que nos écrans nous en disent.

Les enfants n’apprennent pas en regardant les écrans. Ils les imitent. Pour les adultes, finalement c’est pareil. Nous ne nous informons pas en lisant des messages de quelques lignes dont le pub principal est de nous capter par l’émotion (la joie, la colère, le rire, la haine… ) . Nous ne ne nous cultivons pas en laissant défiler des vidéos de quelques secondes. Nous perdons du temps. On nous vole du temps. Il est peut être possible d’en prendre conscience et d’essayer de reprendre le contrôle. De nous révolter contre les voleurs de temps. En formant le vœu que pour certain d’entre nous, il ne soit pas trop tard.

Fabrice Grosfilley

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22 avril 2024 - 12h24
Modifié le 22 avril 2024 - 12h24