L’édito de Fabrice Grosfilley : Schaerbeek, le feuilleton

Dans son édito de ce mercredi 16 octobre, Fabrice Grosfilley revient sur la formation de la majorité à Schaerbeek.

Dallas, Game of Thrones, House of Cards, Borgen… Les scénaristes des grandes séries à rebondissements qui se déroulent dans les milieux du pouvoir pourraient peut-être, demain, puiser leur inspiration du côté de Schaerbeek, région bruxelloise, code postal 1030. La journée d’hier fut en effet pleine de surprises, de volte-face, de tension et d’opposition frontale. Difficile, à ce stade, d’en faire un résumé exact, car beaucoup de choses se passent évidemment en coulisses, à huis clos, mais quelques éléments mis sur la place publique donnent une idée de l’intensité du combat politique.

Tout commence hier matin avec l’annonce d’un ralliement en faveur de la liste commune du Mouvement Réformateur et des Engagés, celui du conseiller indépendant Sait Köse. Dans notre studio, sur BX1, la tête de liste Audrey Henry indique qu’avec désormais 11 sièges, sa candidature au poste de bourgmestre est plus légitime que jamais. Côté socialiste, on s’étrangle et on voit rouge. Quelques heures plus tard, petite manifestation plus ou moins spontanée devant l’Hôtel de Ville : Hassan Koyuncu est accueilli par ses partisans et clame que la liste arrivée en tête est bien celle du PS, et qu’il est, lui aussi, candidat bourgmestre. Le ton est ferme, le regard plein de colère. On devine qu’entre PS et MR, la hache de guerre est déterrée.

Dans le même temps, ça grenouille du côté de Sait Köse et Georges Verzin, tous deux élus sur la liste 1030 Ensemble. Ils précisent leur pensée : ils soutiennent le MR, mais aussi le PS, disent-ils, et ont surtout comme ambition de mettre Ecolo hors-jeu. Bref, c’est un rétropédalage ; PS et MR se retrouvent à 10 conseillers partout.

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Cette question du bourgmestre n’est pas la seule difficulté à résoudre. Pour trouver une majorité à Schaerbeek, il faut un minimum de 24 sièges. En avoir deux ou trois de plus ne serait pas du luxe quand on sait combien la vie politique de la commune a été agitée ces dernières années. Pour certains acteurs, c’est même la trentaine de sièges qu’il faudrait viser si l’on veut éviter les difficultés. Faisons les comptes : MR, PS, Écolo, cela ferait 29 sièges. Ça passe. MR, PS, Liste du Bourgmestre, 26, c’est un peu juste. PS, Écolo, Liste du Bourgmestre, 25, encore plus juste. Remplacer le PS par le MR, c’est la même chose. Si le PS et le MR n’arrivent pas à gouverner ensemble et ne s’associent pas à Écolo, on est parti pour des équations à au moins quatre partenaires, voire cinq. Avec 1030 Ensemble (deux sièges), avec Team Ahidar (quatre sièges), avec le PTB (six sièges). Cela commence à ressembler à un Rubik’s Cube, sauf qu’au lieu d’aligner les cases de la même couleur, il faut aligner des personnalités qui acceptent de travailler ensemble.

Parce que c’est là aussi que Schaerbeek commence à ressembler à un scénario digne d’inspirer Netflix. Aux oppositions de programmes s’ajoutent les inimitiés personnelles ou les procès d’intention. Le Mouvement Réformateur ne veut pas d’Hassan Koyuncu comme bourgmestre. Symbole de la diversité schaerbeekoise pour ses partisans, il est perçu comme un candidat communautaire par ceux du camp d’en face. 1030 Ensemble ne veut pas siéger avec les écologistes. La Liste du Bourgmestre n’aimerait pas dépendre de 1030 Ensemble, mais veut encore moins discuter avec Team Ahidar. Le MR exclut catégoriquement de faire appel au PTB, et inversement. Si on additionne toutes ces exclusions, on voit que la marge de manœuvre devient de plus en plus étroite… et que le risque de devoir repartir vers une majorité un peu trop courte est une réalité qui risque de rattraper bien vite le prochain conseil communal.

Hier soir, la situation à Schaerbeek était donc complètement bloquée. Tout le monde discutait avec tout le monde, et en même temps, les portes n’arrêtaient pas de claquer. Les ralliements qui n’en sont pas, les affrontements de personnes, le passage en force ou la surprise que personne n’avait vue venir, le bluff du joueur de poker ou la stratégie du joueur d’échecs, celui qui monte au front et celui qui tire les ficelles. Dallas, Game of Thrones, House of Cards, Borgen… Place Colignon, ou District 1030 serait aussi un très bon titre pour un feuilleton politique.

Fabrice Grosfilley