L’édito de Fabrice Grosfilley : Qui peut débrancher la N-VA ? Personne

Fabrice Grosfilley - Photo Couverture

C’est terminé. La piste du CD&V est d’ores et déjà refermée. C’est ce qu’annonce David Leisterh dans un courrier envoyé au PS, à DéFI et à Ecolo. “La coalition néerlandophone annoncée fin novembre est la seule option”, écrit-il faisant référence au pré-accord Groen-Vooruit- Open VLD- N-VA, “aucun de ces partenaires n’est prêt à dénouer cet accord, c’est avec cette coalition que nous devons travailler, malgré les craintes, réserves ou réticences exprimées.”

En d’autres termes, David Leisterh renonce à se passer de la N-VA. Il prend acte du refus clairement exprimé par l’Open VLD de changer de partenaire, ainsi que du peu d’empressement de Vooruit et de Groen à envisager un tel revirement.  La N-VA restera donc à bord, malgré le veto du Parti socialiste à son égard. David Leisterh, après une semaine de négociation de la dernière chance, n’a donc pas avancé d’un pouce. Il tente une dernière opération sous forme d’un appel solennel aux partis francophones : “L’heure n’est pas à l’abandon de poste. Une crise prolongée aura des conséquences néfastes concrètes pour les personnes que nous représentons au Parlement”, écrit-il, demandant donc au Parti socialiste, à DéFI et aux écologistes de revenir sur leur décision. Et le formateur d’exhorter ces trois partis à réunir leurs instances au plus vite afin de leur poser, ou reposer, la question d’une éventuelle entrée en négociation : “Je sais votre amour pour Bruxelles et il est temps d’avoir un supplément d’âme pour ne pas la voir périr.”

On va le dire tout de suite : la probabilité que le PS, Ecolo ou DéFI réunissent effectivement leur bureau à la demande de David Leisterh semble faible, et la possibilité que ces partis disent, dans les trois jours, “oui, d’accord, on veut bien négocier avec la N-VA” paraît encore moins vraisemblable. L’opération a le mérite de remettre un peu de pression sur les trois partis francophones, mais on doute que ce soit suffisant. Elle aura donc surtout pour effet d’essayer de leur faire porter la responsabilité d’un nouvel échec. L’hypothèse la plus vraisemblable est celle d’une démission de David Leisterh, qui constatera probablement en fin de semaine qu’il n’a pas de majorité pour le soutenir. Il indique une deadline précise dans son courrier : ce sera vendredi à 17 h.

Ce dernier épisode d’une trop longue chronique d’un échec annoncé mérite un mot d’explication. La semaine dernière, Sammy Mahdi et Benjamin Dalle avaient bien ouvert la porte à une participation du CD&V à la future majorité bruxelloise. Une ouverture qui aurait pu permettre de se passer de la N-VA, comme l’exige le PS. Mais pour cela, il aurait fallu que Groen, Vooruit et l’Open VLD montent dans le train. L’Open VLD a dit non très vite. Groen et Vooruit ont gardé le silence. Ce n’est pas facile pour un parti néerlandophone de se désolidariser de la N-VA, parti dominant du paysage politique flamand. Pas facile non plus de sembler céder à un diktat venu d’un parti francophone, le PS en l’occurrence.

Pour que l’opération ait une chance de réussir, il aurait fallu que MR et Engagés mettent tout leur poids dans la balance. Peut-être que si l’appel était venu de David Leisterh lui-même, s’il y avait mis toute son autorité de futur ministre-président, cela aurait pu aider à faire bouger les lignes. Mais sans garantie. Et comme il ne l’a pas fait, on ne le saura donc jamais.

Ce qui s’ouvre devant nous maintenant, c’est un chaos dont on ne mesure pas encore l’ampleur. Un gouvernement en affaires courantes, incapable de valider un budget. Un Parlement qui va ressembler à un champ de bataille où libéraux et socialistes seront en confrontation permanente. Un climat communautaire délétère, puisqu’il faut bien acter un blocage de la Région bruxelloise par sa minorité néerlandophone. Une incertitude financière qui se manifestera tôt ou tard. Et un pouvoir fédéral qui va tenter de prendre la main sur la Région bruxelloise.

Ce matin, il n’y a que des perdants dans cette séquence. Ahmed Laaouej, qui aura marqué les esprits par son intransigeance et qui risque de devoir assumer longtemps l’image de celui qui a empêché un accord.  David Leisterh, qui n’a pas voulu forcer la main des partis néerlandophones, paraissant s’accommoder de leur diktat et qui n’aura pas réellement pris d’initiative pour contourner le blocage, au risque de ne jamais devenir ministre-président. Elke Van Den Brandt, qui est venue avec une solution qui n’en était pas une et qui n’a pas osé aller contre la N-VA, alors que même ses militants n’approuvaient pas l’alliance. Ans Persoons, dont l’électorat progressiste pourra se demander pourquoi il fallait privilégier la N-VA au PS. Frédéric De Gucht, dont l’agressivité a fait passer l’Open VLD de parti bruxellois porteur de solutions à formation flamande de pointe, rétive à tout compromis.

Et on n’oubliera pas dans l’équation Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot, qui ont compliqué le jeu en écartant Team Ahidar et le PTB, avant de valider une construction qui accordait la création d’un poste supplémentaire pour une minorité flamande déjà surprotégée. Ils ont préféré mettre le PS hors-jeu plutôt que de fâcher des partis néerlandophones.

Ce chaos qui nous attend est sidérant.  Il y a dix ans, ou même cinq ans,  aucun parti francophone n’aurait considéré comme anodine l’idée de faire entrer la N-VA au gouvernement bruxellois. Il y a dix ans, ou cinq ans, ou peut-être moins, on considérait que la N-VA, qui défendait la vision d’un Bruxelles cogéré, n’était pas un partenaire envisageable en Région Bruxelloise. Il y a dix ans, ou même cinq ans, il aurait été inimaginable de voir des négociateurs bruxellois se placer en situation de dépendance par rapport aux négociations fédérales.

Il y a dix ans, ou cinq ans, on n’aurait jamais imaginé qu’on ne défendrait pas l’autonomie de la Région bruxelloise, qu’on n’affirmerait pas à chaque occasion possible qu’elle devait être l’égale de la Région flamande et de la Région wallonne, avec autant de pouvoirs. Il y a dix ans, cinq ans, un an, on n’aurait jamais imaginé qu’un président de parti puisse dire que ce n’est pas aux Bruxellois qu’il revient de diriger Bruxelles.

On va se méfier des propos grandiloquents et de l’emphase propre aux éditorialistes. Mais nous sommes en train de rouler à tombeau ouvert vers une mise sous tutelle de la Région bruxelloise. Tous ceux dont on vient de citer les noms en porteront la responsabilité. Elle risque d’être historique.

L’édito de Fabrice Grosfilley