L’édito de Fabrice Grosfilley : quand la campagne s’emballe
Dans son édito de ce jeudi 28 mars, Fabrice Grosfilley revient la campagne électorale.
Il reste 74 jours jusqu’aux élections. Deux mois et demi, le temps d’emballer une campagne. Le temps de marquer les esprits positivement ou négativement pour tenter d’influencer les électeurs qui n’auraient pas encore arrêté un choix définitif. Les partis politiques sont entrés dans cette dernière ligne droite. La campagne, c’est d’abord la multiplication des débats. Dans les associations, devant les étudiants, les organisations patronales, les ONG. On débat de la mobilité, du statut des commerçants, de l’aide aux pays en voie de développement, de la politique climatique, des aidants proches, de la recherche, du logement, des assuétudes, de l’aide aux plus démunis, etc. La campagne, c’est aussi la tournée des marchés, les réunions tupperware, la rencontre avec les électeurs, l’écoute des doléances et les poignées de main, tout ce travail de proximité qui rend la démocratie concrète et vivante.
Une campagne, c’est aussi, au travers des médias, un certain nombre de positionnements médiatiques. Des déclarations fortes et des ruptures spectaculaires destinées à frapper l’opinion. Dans cet exercice, il arrive que les stratégies de campagne heurtent de plein fouet le travail en cours des gouvernements et des parlements. On rappelle que, campagne ou pas, les gouvernements restent en place jusqu’à ce qu’on ait installé le gouvernement suivant. Pour les parlements, il y aura dissolution avant les élections. On sait déjà que la dernière séance de travail à la chambre est fixée au 8 mai. Pour le Parlement bruxellois, la dernière chance de faire voter des ordonnances est prévue le 3 mai. Après cette dernière séance plénière, les députés quitteront l’hémicycle, certains savent déjà qu’ils n’y reviendront plus.
En théorie jusqu’au début du mois de mai, il est possible de continuer à légiférer. Dans la pratique, ce sera peut-être difficile, tellement la campagne semble lancée. Les positionnements électoraux montent en puissance et prennent le pas sur les logiques de majorité et les accords de gouvernement. On s’affranchit de la solidarité ministérielle, on n’épargne pas son partenaire de majorité, pire même, c’est à celui avec lequel on vient de gouverner pendant cinq ans qu’on réserve ses meilleures critiques. Ces derniers jours, nous avons entendu les réformateurs réclamer que l’armée soit mobilisée dans les rues de Bruxelles. Mais pas question, ont répondu les ministres en charge de la sécurité (justice, intérieur, défense). Le MR poursuit désormais sur sa lancée en réclamant des sanctions pour tous les usagers de drogues. Le parcours de sevrage ou la prison, c’est la position défendue par son président Georges Louis-Bouchez.
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Autre exemple, qui relève des compétences régionales cette fois, le code du bien-être animal. Le texte porté par Bernard Clerfayt, ministre bruxellois en charge de cette matière, est prêt, et fait l’objet d’un consensus sur le fond. Il pourrait être transmis au Parlement régional pour être voté avant la fin de la législature, on est encore dans les temps. Mais il est bloqué par les socialistes. Ceux-ci craignent qu’un amendement soit introduit pour tenter à nouveau d’interdire l’abattage sans étourdissement à l’occasion de son examen. Ce serait rouvrir un débat délétère, estime le PS qui bloque donc l’ensemble du code pour cette raison. Au risque de mécontenter Bernard Clerfayt qui aurait aimé que ce texte figue à son bilan, même si tous les partis en réalité craignent un vote sur cette question, car tous les groupes parlementaires ou presque sont en vérité divisés sur ce dossier… Mais il est vrai que le PS, déjà malmené dans les sondages, est sans doute celui qui a le plus à perdre sur cette question.
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Dernier exemple, il date de mercredi soir, la décision du PS et d’Ecolo de renoncer au décret paysage. Ce décret impose aux étudiants de réussir les 60 crédits d’une première année d’étude en deux ans (trois s’ils ont décidé de changer d’orientation). Un dispositif mis en place pour éviter aux étudiants de s’enliser pour des périodes indéterminées dans des études à rallonge. Et surtout éviter de trainer comme un boulet des crédits de première année, qu’on reporte aux années suivantes et vous empêche au final de décrocher votre diplôme. Ce dispositif mis en place par Valérie Glatigny avait été voté par le PS et par Ecolo. Il apparait que ses conséquences ont peut-être été sous-estimées. Des centaines, probablement des milliers d’étudiants risquent de se retrouver exclus des études supérieures. La FEF parle de 70 000 étudiants concernés, soit un étudiant sur 3. PS et Ecolo réclament donc le retrait du dispositif. Ils mettent une pression maximale sur le MR et la ministre de l’Enseignement supérieur actuelle, Françoise Bertieaux. Si la ministre refusait de retirer le texte, il faudrait alors forcer un vote au Parlement et chercher une majorité alternative. Ce serait tordre le bras au Mouvement Réformateur et créer un incident majeur en fin de législature. C’est théoriquement possible jusqu’au début du mois de mai, le compte à rebours est donc enclenché. C’est surtout la preuve que les logiques de campagne l’emportent désormais sur la notion de majorité.
Fabrice Grosfilley