L’édito de Fabrice Grosfilley : nouvelle politique
Des cris, des invectives, des députés qui s’interpellent et prennent la parole sans y être autorisés. Des accusations de tricherie au moment du vote. C’est le spectacle qu’a offert, ces deux derniers jours, le parlement fédéral. Un spectacle qui ne donne pas une bonne image de la démocratie parlementaire. Le genre d’images qu’on voyait autrefois en provenance de jeunes démocraties découvrant les règles du jeu parlementaire, dans les pays d’Europe de l’Est ou d’Asie centrale. Les élus qui en venaient aux mains, qui montaient sur les pupitres en brandissant le poing, les huissiers dépassés, la police obligée d’intervenir… C’était « exotique ». On n’en est peut-être plus si loin quand on regarde ce qui s’est passé à la Chambre, hier ou avant-hier.
Le summum de la tension a été atteint quand Mathieu Michel a appuyé deux fois sur le bouton : une fois pour lui, une fois pour son voisin de travée, Denis Ducarme. Deux votes pour un seul député, c’est évidemment contraire au règlement de la Chambre, où le vote est nominatif, et où il n’est pas possible de voter par procuration. Le député est le seul et unique porteur de la délégation de pouvoir que lui ont confiée les électeurs de sa circonscription. Il y a donc, bel et bien, eu faute. L’opposition parle de tricherie. On verra ce qu’en diront le bureau de la Chambre et son président, qui s’est d’ores et déjà engagé à convoquer le député fautif.
Évidemment, il n’y a pas mort d’homme. Le débat pourrait vous paraître relativement secondaire. Mais il ne faut pas oublier qu’il existe, dans toutes les assemblées — au parlement fédéral comme dans les parlements régionaux ou les conseils communaux — une règle essentielle : celle du quorum. Il faut qu’au moins la moitié des membres de l’assemblée soient présents pour que le vote soit valable. Ces derniers jours, les membres de la majorité n’étaient pas assez nombreux, ce qui veut dire que si l’opposition quittait l’hémicycle, les débats en cours devaient être suspendus. C’est ce qui s’est produit à deux reprises. Certains députés de la majorité étaient à l’étranger, pour des raisons officielles ou privées. D’autres étaient souffrants, certains avaient mieux à faire dans leur circonscription. On rappellera qu’être député est un emploi à plein temps. Et que c’est bien pour exercer ce mandat qu’ils sont rémunérés, pas pour faire autre chose.
Le spectacle auquel on a assisté à la Chambre n’est, hélas, pas propre à notre seul parlement fédéral. Au parlement bruxellois aussi, les échanges sont devenus plus houleux. Les prises de parole y sont plus désordonnées qu’avant. Les invectives fusent. La tendance au « show », à la confrontation systématique, s’impose peu à peu partout. Cela n’a pas échappé à mes collègues éditorialistes de la presse écrite. « On exige des parlementaires, simples députés, ministres ou présidents de parti, qu’ils soient à la hauteur du mandat qui leur a été confié. Il ne s’agit pas de se donner en spectacle (de bas étage), mais de gérer le pays ou de contrôler l’action du gouvernement en rendant des comptes aux citoyens. Sur ce dernier point, on est très loin du compte », écrit Béatrice Delvaux dans Le Soir. « Le spectacle a tourné à la farce, si ce n’est à la honte », écrit de son côté Dorian de Meeûs dans La Libre Belgique. « Cette désinvolture, dans un contexte financier tendu, n’est pas seulement regrettable : elle est indéfendable. Le respect du mandat parlementaire oblige à une assiduité élémentaire, a fortiori quand l’enjeu est celui des finances de l’État. »
Je n’ai pas besoin d’en rajouter. Je vais donc me joindre à ces excellents confrères et consœurs qui unissent leurs claviers pour dire que cette nouvelle manière de faire de la politique n’est pas digne. Que le débat, c’est d’abord la capacité à s’écouter et à échanger des arguments de fond. Il ne faudrait pas qu’une certaine façon de faire de la politique remplace le débat d’idées par un pugilat permanent. Le bruit, l’agressivité, la volonté d’empêcher l’autre de s’exprimer, la confiscation de l’attention par tous les moyens pour imposer ses idées coûte que coûte, le mensonge, l’insulte : ce n’est pas servir la démocratie. Un.e élu.e qui ne sert pas la démocratie porte une part de responsabilité dans son affaiblissement — et dans la tentation que certains citoyens pourraient avoir de la remplacer par autre chose.