L’édito de Fabrice Grosfilley : nous sommes en colère
Les dates butoirs n’existent pas. En tout cas, dans ces négociations bruxelloises sans fin, elles n’existent pas. Elles s’effondrent les unes après les autres. En reprenant le flambeau après David Leisterh, Georges-Louis Bouchez avait annoncé qu’il espérait un déblocage pour le 11 novembre. Nous sommes le 17. On a enjambé l’Armistice, mais MR et PS ne sont toujours pas capables de se tendre la main.
Après les élections du 9 juin, on avait espéré un accord pour le 21 juillet, comme d’habitude à Bruxelles. On a ensuite évoqué la rentrée scolaire, les élections communales, Noël, les vacances de printemps, le 21 juillet de l’année suivante. Les négociateurs bruxellois ne cessent de défoncer les dates butoirs les unes après les autres. Les calendriers, les promesses, les annonces… plus rien n’est désormais crédible. Et j’avoue ce matin que ce n’est plus la lassitude, mais la colère, qui dicte l’écriture de cette chronique.
Car derrière ces dates butoirs, c’est le portefeuille de la Région bruxelloise qui s’enfonce inexorablement dans des abysses dont il ne sera bientôt plus possible de ressortir. 1,5 milliard de déficit, c’était le constat à la fin de l’année 2024. Faute d’accord, en continuant avec les douzièmes provisoires, on a donc maintenu cette trajectoire. Chaque mois qui passe, ce sont 125 millions de déficit qui s’ajoutent. Depuis les élections de juin dernier, 16 mois se sont écoulés. 16 × 125, cela fait donc 2 milliards de déficit supplémentaires.
Deux milliards jetés par les fenêtres pour cause de non-gouvernement. Deux milliards qu’on peut mettre intégralement au passif des négociateurs et de leur incapacité à trouver un accord. Deux milliards — oui, deux milliards — de perdus, dont vous êtes très directement les responsables. Il y a, pour le citoyen bruxellois, qui pourrait demain devoir se contenter de services réduits pour cause d’économie ou d’une augmentation de la pression fiscale, voire des deux… il y a, pour le citoyen bruxellois, de quoi être en colère.
Il va falloir courir après ces deux milliards, qu’on aurait pu éviter, au moins en partie, de dépenser. Et ce n’est peut-être pas fini. C’est deux milliards maintenant, ce sera deux milliards deux cent cinquante millions à la fin du mois de décembre. Deux milliards cinq si vous réussissez à faire traîner les choses jusqu’à la Saint-Valentin, deux milliards sept lorsqu’on arrivera aux vacances de Pâques. Etc.
Ces deux milliards, vous nous les devez quelque part. Et votre responsabilité est immense. Car oui, on peut lister, nommer, désigner les responsables de la gabegie.
Au premier rang, le Mouvement Réformateur, qui prétendait réformer la Région en 100 jours, délai largement dépassé. Nous en sommes aujourd’hui à 526 jours. On a largement eu le temps de conclure que le MR n’était pas capable de faire un accord. Ce parti a eu 16 mois pour réussir : incompétence ou mauvaise volonté, la date de péremption est atteinte depuis longtemps.
Autre responsable : le Parti Socialiste, qui, après avoir refusé toute présence de la N-VA, semble désormais dans l’incapacité de pouvoir ou vouloir faire des concessions sur la trajectoire budgétaire. Être le parti de l’intransigeance se fait au détriment de tous les Bruxellois, quel que soit leur niveau de richesse.
On pointera enfin l’Open VLD, qui veut laver plus blanc que blanc dans l’unique but de redorer un blason électoral démonétisé, et qui se fait mousser en Flandre sur le dos de la Région bruxelloise. Oui, Frédéric De Gucht et Dirk De Smet, en empêchant d’aboutir à un accord, vous rajoutez chaque mois 125 millions au passif de la Région. Vous n’êtes donc pas les grands argentiers que vous prétendez être, bien au contraire.
MR, PS, Open VLD sont donc les grands artisans du blocage. Même si aucun parti impliqué dans la négociation ne peut se regarder dans le miroir sans blêmir. Les Engagés, qui n’osent pas dire que le MR doit rendre son tablier. Vooruit, qui a torpillé l’une des rares alternatives possibles avec la négociation de gauche. Groen, qui, en validant une formule contre nature impliquant la N-VA, a juste cherché à se défausser de la responsabilité d’un blocage communautaire dont les conséquences sont aujourd’hui inversement proportionnelles au poids réel des partis néerlandophones.
Alors oui, il vaut mieux un mauvais accord que pas d’accord du tout. À la droite, on dira qu’il vaut mieux réduire partiellement le déficit que ne rien faire. Face à l’effet boule de neige, mieux vaut un demi-remède que pas de remède du tout. À la gauche, qu’il vaut mieux faire un peu d’économies aujourd’hui que se mettre demain sous la coupe des banquiers et risquer un shutdown généralisé à terme.
Peut-être que certains ergoteront et dénonceront mon simplisme budgétaire. C’est un peu moins de deux milliards si on considère que tous les crédits autorisés dans le cadre des douzièmes provisoires n’ont pas été dépensés. Ou un peu plus si on ajoute les 300 millions de provisions décidées pour cette fin d’année. Mais justement : on vous demande d’arrêter d’ergoter. D’arrêter de couper les cheveux en quatre. De regarder votre responsabilité en face. De l’assumer. D’arrêter de jouer avec un argent qui n’est pas le vôtre. Et pire encore, d’arrêter de jouer avec l’avenir de la Région bruxelloise et la crédibilité de notre démocratie.
Vous êtes les dépositaires temporaires du pouvoir, mais vous n’êtes propriétaires de rien. Sous le coup de ma colère, même si le populisme n’est pas le genre de la maison, moi qui aime tant la politique et la région où j’habite, j’ose ce matin une formule lapidaire : gouvernez ou changez de métier.





