L’édito de Fabrice Grosfilley : mathématiques
C’est la théorie de l’effet papillon. Ou de l’effet boule de neige. Un petit détail qui a de grosses conséquences. La décision de Fabian Maingain de quitter DéFI bouleverse les équilibres existants au sein du Parlement bruxellois. Avec comme conséquences que cela fait évoluer les rapports de force entre la droite et la gauche, et que cela peut perturber certaines stratégies qui avaient été mises en place dans l’espoir de constituer une majorité. C’est un peu technique, mais cela vaut la peine d’être expliqué.
D’abord, la photo globale. Le Parlement bruxellois, c’est 89 députés : 72 francophones, 17 néerlandophones. Si on prend la photo de ce parlement au moment de son installation, le MR avait 20 sièges, le PS en avait 16, le PTB 15, et DéFI en comptait 6. Et puis, au fil des mois, Ludivine de Magnanville quitte DéFI pour rejoindre le MR, Souleyman El Mokadem indique qu’il quitte le PTB, Latifa Aït Baala est passée du MR au PS, et Fabian Maingain a décidé de siéger comme indépendant.
Le MR a donc gagné un siège qu’il a ensuite reperdu. Le PS a progressé d’une unité, alors que DéFI a perdu deux députés. Si on fait l’addition des groupes, rien que dans la partie francophone de l’hémicycle — on va laisser les néerlandophones de côté — on est passé d’un paysage, au mois de juin 2024, où les partis de gauche (PS, PTB, Ecolo) comptabilisaient ensemble 38 sièges, tandis que les partis de droite (MR, Engagés et DéFI) en avaient 34. On se retrouve maintenant, en avril 2025, dans un paysage où la gauche a toujours officiellement 38 sièges, mais où la droite n’en a plus que 32. Elle en a donc perdu deux.
Et il faut préciser que Souleyman El Mokadem et Fabian Maingain, qu’on doit désormais comptabiliser comme députés indépendants, semblent — mais rien n’est certain — idéologiquement plus enclins à soutenir des textes ou des majorités allant vers la gauche que vers la droite. Pour Souleyman El Mokadem, cela semble évident. Pour Fabian Maingain, cela devra se vérifier en fonction des projets. L’idée qu’il soutienne l’installation d’un gouvernement minoritaire dans le collège francophone est tout cas exclue.
La probabilité de voir une majorité de députés francophones soutenir un gouvernement bruxellois dans lequel se trouverait la N-VA est donc de plus en plus faible. Pour former une majorité dans le collège francophone, il faut 37 députés. Les partis de gauche les ont, les partis de droite ne les ont pas. Pour installer une majorité sans le PS et sans Ecolo, et faire advenir leur projet de gouvernement minoritaire, Georges-Louis Bouchez et David Leisterh doivent désormais avoir le soutien des 4 députés qui restent fidèles à DéFI, et aller en plus chercher 5 voix supplémentaires. Comme Sophie Rohonyi dit actuellement toujours non à une coalition avec la N-VA, cela fait donc au total 9 voix à retourner. L’hypothèse de ce gouvernement minoritaire n’est clairement plus réaliste. Il serait bien que Georges-Louis Bouchez et David Leisterh puissent le reconnaître, pour qu’on puisse lancer une autre séquence de négociation, plutôt que de s’entêter à faire vivre une hypothèse qui n’est plus crédible. Sauf énorme retournement de situation, puisque je peux toujours me tromper.
Autre conséquence de ces mouvements de parlementaires : l’attribution des sièges en commission. Et là, c’est un coup de massue pour DéFI. L’attribution de ces sièges se fait sur base d’une clé de répartition proportionnelle. En passant de 5 à 4 députés, DéFI va donc perdre le siège qu’il occupait dans toutes les commissions permanentes. Cela veut dire que ses députés pourront toujours assister aux débats, mais qu’ils n’auront plus le droit de vote. Ils ne pourront plus peser sur les travaux parlementaires. Ce siège de commissaire passe au PTB.
Ce qui donnera, dans chaque commission : 4 députés pour le MR, 3 pour le PS, 3 pour le PTB, un siège pour Les Engagés, et un pour Ecolo. On refait le calcul : côté francophone, en commission, il y aura 5 députés de droite face à 7 députés de gauche. Si on ajoute les députés néerlandophones — un siège pour Groen, un pour Team Ahidar, et un pour la N-VA — cela fait 9 députés de gauche contre 6 députés de droite. Quand on dit que le Parlement bruxellois penche à gauche, ce n’est pas une formule en l’air, c’est une vérité numérique.
Allons plus loin : en commission, il faut 8 sièges au minimum pour faire une majorité. Le Mouvement Réformateur ne peut déjà plus travailler sans le Parti Socialiste, l’apport des Engagés (probable) et des écologistes (plus qu’incertain) ne permettant plus de bâtir une majorité alternative… (sauf à imaginer que les libéraux bénéficient du soutien du PTB ou qu’Ecolo accepte d’être associé à la NVA, mais on entre dans la politique fiction).
Tous ces petits calculs d’apothicaire que je viens de vous faire, les états-majors des partis les font aussi, évidemment. Ils vont avoir leur importance dans la nouvelle séquence de négociations qui va forcément s’ouvrir dans les jours ou dans les semaines à venir. Le MR est dans une position moins favorable qu’il ne l’était il y a quelques mois. Ce n’est pas un jugement, même pas un commentaire, c’est la conséquence mathématique des transferts de ces dernières semaines.