L’édito de Fabrice Grosfilley : manifester, pourquoi et avec qui ?

Dans son édito de ce jeudi 7 décembre, Fabrice Grosfilley revient sur la manifestation contre l’antisémitisme.

Marcher contre l’antisémitisme : un appel dans lequel tous les Bruxellois devraient, en théorie, se reconnaitre. Un mot d’ordre qui ne devrait pas provoquer de polémique. Et, pourtant, l’appel à une manifestation contre l’antisémitisme ce dimanche dans les rues de Bruxelles suscite depuis quelques jours beaucoup de commentaires avec des débats, des articles, des cartes blanches… et un malaise qui touche même une partie de la communauté juive elle-même.

Condamner l’antisémitisme n’est pourtant pas une option. La discrimination ou la haine des juifs, comme les autres formes de racisme, n’est pas acceptable. Cet antisémitisme (dont on a vu les ravages extrêmes lors de la Shoa) n’a pourtant pas disparu. Il est ressurgi régulièrement dans des commentaires, des insultes, des agressions verbales et même parfois physiques, des tags, des slogans criés lors de manifestations, ou au travers de la négation du génocide ou d’une forme de relativisme de la Shoa.

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L’antisémitisme, pas plus que l’islamophobie, la négrophobie ou encore l’homophobie, ne sont tolérables. Il est du devoir de tous les citoyens de bonne volonté, de tous ceux qui souhaitent le respect de la personne humaine de le condamner. On ne discrimine pas une personne en raison de ses origines ou de sa religion. On y est particulièrement attentif quand ce racisme-là a déjà causé des millions de morts dans un passé pas si lointain.

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Cette manifestation, donc, ne devrait pas être discutable. Son principe ne l’est pas. Raison pour laquelle de grands noms appellent à manifester : de Danny Boon à Ismaël Saïdi, en passant par Sam Touzani, Adamo, les frères Dardenne, Amélie Nothomb ou Christian Clavier (oui, il réside souvent à Bruxelles). La plupart des formations politiques démocratiques y participeront également, à l’exception du PTB. Pourquoi évoquer un malaise, alors qu’il y a un nécessaire consensus sur la raison de cette manifestation et sur le bien fondé qu’il y a à pouvoir l’organiser dans un moment de tensions qui pourrait s’accompagner d’une résurgence des actes antisémites ? La raison est à chercher du côté des organisateurs et surtout du côté de leur expression publique.

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À l’origine de cette manifestation, on trouve donc le CCOJB, le Comité de coordination des Organisations Juives de Belgique, et la Ligue Belge contre l’Antisémitisme. Le premier est une coupole qui regroupe de nombreuses associations de la communauté juive et fait office d’interlocuteur quasi-officiel dans le dialogue entre les communautés. La seconde (LBCA) est une association de taille modeste, surtout connue par l’activisme de son fondateur et président, très présent dans le débat public depuis quelques années sur la question de l’antisémitisme. Joël Rubinfled, c’est le nom du président, ne cache pas des sympathies politiques qui penchent très à droite : il a notamment été membre du Parti Populaire de Mischael Modrikamen. Il ne cache pas non plus son soutien à la politique actuelle du gouvernement israélien. Pas de quoi faire l’unanimité donc (surtout si le soutien au gouvernement israélien va jusqu’à endosser tous les propos de ses membres, y compris lorsqu’ils s’en prennent à Alexander De Croo ou envisagent de vider la bande de Gaza de sa population). Mais ce qui pose réellement problème, c’est un certain nombre d’expressions publiques de Joël Rubinfeld sur les réseaux sociaux. Il y attaque régulièrement des élus de gauche par tweets interposés, avec une vigueur qui est à la limite de la violence, suggérant (le mot est faible) qu’Ecolo serait antisémite. Et dans la foulée de l’attaque du Hamas, début octobre, il a publié un long texte comparant la Belgique avec l’Allemagne des années 30, faisant même une analogie entre Éliane Tillieux (présidente de la Chambre) et Herman Goering (président du Reichstag de 1932 à 1945, tout en étant le ministre de l’aviation d’Adolf Hitler). Un texte qui est aujourd’hui encore épinglé en tête de son profil sur le réseau X (anciennement Twitter).

Le 2 décembre, dans un autre message, Joël Rubinfeld mettait sur le même pied les partis d’extrême droite et la gauche dans son ensemble, estimant qu'”un parti qui, lors de son lancement officiel, invite des représentants du Vlaams Belang ou du Rassemblement National n’a, pas plus que les représentants des partis Ecolo, PS ou PTB, sa place dans cette marche nationale contre l’antisémitisme”, les qualifiants departis infréquentables“. L’ensemble de ses déclarations, le refus d’ouvrir la manifestation à la dénonciation de tous les racismes, et la place prépondérante prise par la LBCA ont fini par crisper le camp progressiste, dont certains militants ont annoncé qu’ils préféraient ne pas s’associer à ce rassemblement. L’Union des Progressistes Juifs de Belgique (qui regroupe les militants de gauche de la communauté juive) a fini par se rallier à la manifestation, mais avec des pincettes.

Tout ce qui est excessif est insignifiant, dit-on. On pourrait donc balayer les expressions de Joël Rubinfeld d’un haussement d’épaules… s’étonner malgré tout de la mansuétude du coorganisateur de cette marche (le CCOJB) qui semble endosser ses excès de langage sans broncher… et renvoyer à ceux qui s’offusquent qu’ils n’avaient qu’à monter un tel rassemblement avant de se faire devancer. On rappellera surtout que, pour réellement venir à bout du racisme et de l’antisémitisme, on a besoin de démarches qui rassemblent, plutôt que d’expressions qui exacerbent la division.

Fabrice Grosfilley