L’édito de Fabrice Grosfilley : l’IVG sort du frigo parlementaire
C’est donc le retour du débat sur l’avortement. Un vieux débat qui va rebondir ce matin au Parlement fédéral : Yvon Englert, coprésident du groupe d’experts, y présentera les conclusions de ce comité de 35 “sages” (dont 20 femmes, c’est à souligner), devant les députés des commissions de la Santé et de la Justice. Conclusion/recommandation de ces experts : on peut porter le délai légal pour avorter de 12 à 18 semaines. Ce débat, vous en avez déjà beaucoup entendu parler. Il avait sérieusement crispé les relations entre partis de la majorité fédérale au moment de la mise sur pied de cette coalition Vivaldi. Les députés étaient sur le point de voter une réforme, une majorité alternative avait été trouvée. Ce n’était pas du gout du CD&V, le parti social-chrétien flamand, qui avait menacé de tout arrêter si on votait sans lui. Finalement, le dossier avait été mis temporairement au frigo. L’audition d’Yvon Englert au Parlement signifie qu’on rouvre la porte du frigo, que l’examen des propositions de loi va pouvoir reprendre.
Le cœur de la discussion porte donc bien sur le délai pendant lequel on autorise l’avortement. Aujourd’hui, avec un délai de 12 semaines, plusieurs centaines de femmes belges prennent chauqe année la route des Pays-Bas pour se faire avorter. C’est tout l’enjeu de cette discussion : comment faire en sorte que les femmes qui désirent avorter puissent le faire dans de bonnes conditions, sans se mettre en danger. D’après le journal Le Soir, le CD&V serait désormais d’accord pour faire passer le délai de 12 à 14 semaines. Cela laisserait deux semaines de plus aux femmes qui désirent subir une intervention pour se décider. Pour le CD&V, aller au-delà serait “une ligne rouge” que le parti ne peut pas franchir. L’ouverture est donc très relative.
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Ce délai, ce nombre de semaines, il repose en partie sur une conception que l’on se fait du droit à la vie. Un fœtus est-il déjà un être humain ? Si oui, à partir de combien de temps ? Qui a le droit de mettre un terme à la grossesse, la future mère ou un tiers ? Le débat a longtemps été un débat religieux. Le clivage oppose ainsi depuis des décennies les libéraux aux chrétiens fondamentalistes aux États-Unis, ou chez nous, les laïques aux chrétiens. En parlant d’une ligne rouge après 14 semaines, le CD&V se positionne en gardien de la morale chrétienne. Il indique aussi sa volonté de ne pas laisser le champ libre sur sa droite à la N-VA ou au Vlaams Belang, dont on sait qu’ils seront contre l’allongement de la durée légale pour avorter. C’est une question de leadership au sein du camp conservateur, de fidélité à la doctrine chrétienne qui reste très présente en Flandre, et aussi une question de positionnement idéologique, puisque le nouveau président du CD&V Sammy Mahdi replace ostensiblement son parti plus à droite et moins au centre sur les questions sociétales.
La suite du feuilleton viendra maintenant des autres partis de la majorité. Les libéraux, le Parti Socialiste, les écologistes, accepteront-ils de transiger à 14 semaines pour permettre au CD&V de voter avec le reste de la majorité ? Ce matin, il est permis d’en douter, mais en politique, rien n’est jamais à exclure. Cela illustre très bien que le débat est clairement un débat politique (au sens nombre du terme : administrer les affaires de la cité) et pas un débat purement scientifique. Qu’on peut demander à des experts de faire des recommandations… mais que tous les partis ne sont pas prêts à les suivre, quelle que soit la qualité des médecins et des spécialistes éthiques qui signent ce rapport. Dès qu’on parle de procréation, de sexualité, de grossesse, d’avortement, qu’on soit en Belgique ou partout ailleurs dans le monde, le corps d’une femme ne lui appartient pas vraiment.
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Fabrice Grosfilley