L’édito de Fabrice Grosfilley : l’étroit chemin qui pourrait sortir les négociations bruxelloises du chaos
Existe-t-il un moyen de sortir de l’impasse ? Après sept mois de blocage, est-il possible d’enfin lancer des négociations à Bruxelles ? Ces derniers jours, la pression est devenue plus forte sur les négociateurs bruxellois, avec une série de déclarations qui rendent plus palpable l’idée qu’il faudra, par la porte ou par la fenêtre, installer un gouvernement ou, à défaut, se lancer dans une série de décisions budgétaires. Des décisions qui risquent d’être douloureuses et qu’il sera difficile de faire passer au coup par coup. Il faudra donc bien un accord de majorité dans lequel tous les partis font des concessions d’un côté, mais obtiennent des compensations de l’autre, pour que cela puisse être envisageable.
Hier matin, sur notre antenne, Rachid Madrane a ainsi appelé sa propre formation politique, le Parti socialiste, à ouvrir le jeu, à accepter de discuter avec la N-VA. Pourtant, c’est justement la présence de la N-VA au sein du projet d’accord qui a incité Ahmed Laaouej à quitter la table des négociations. C’est une prise de parole courageuse de la part de Rachid Madrane, ancien président du parlement bruxellois. Mais c’est une prise de parole isolée. Elle n’aura probablement pas beaucoup d’influence sur la position de la fédération bruxelloise Parti socialiste dans son ensemble. Celle-ci, à ce stade, exclut toujours de devoir négocier avec la N-VA. Et il n’est toujours pas question pour Ahmed Laaouej de favoriser l’entrée des nationalistes flamands dans un exécutif bruxellois. C’est une question de principe, mais aussi de symbole politique.
Le PS ne manque pas d’arguments pour faire barrage. D’abord parce qu’avec deux députés seulement, la N-VA n’est pas mathématiquement incontournable. Ensuite, parce qu’en concluant un accord à quatre partenaires alors qu’il n’y a que trois sièges prévus pour eux au gouvernement, les partis néerlandophones compliquent l’équation et imposent une adaptation des règles actuelles. Or, pour adapter ces règles, il faut le soutien des francophones, donc du PS (ou d’écolo et de défi). Il n’empêche qu’après les sorties de Groen, du MR, des engagés, et du patronat (liste non exhaustive) le PS est en train d’hériter du valet noir et est de plus en plus perçu dans l’opinion comme responsable du blocage.
Comment ramener le PS à la table des discussions, sans se passer complètement de la N-VA ? C’est le problème politique et constitutionnel que David Leisterh et Elke Van den Brandt doivent désormais résoudre. Le chemin est étroit et scabreux. Il faudrait trouver une formule où la N-VA voterait pour l’accord de majorité, sans être formellement membre du gouvernement régional. Dans les états-majors, on teste donc des hypothèses. L’une d’entre elles pourrait être de considérer la ministre des Affaires bruxelloises du gouvernement flamand, la N-VA Cieltje Van Achter, comme ministre invitée. Elle assisterait donc aux réunions du gouvernement bruxellois sans avoir le pouvoir de les bloquer. Ce n’est, à ce stade, qu’une hypothèse. Il n’est pas sûr qu’elle fonctionne. Si l’on ne trouve pas ce chemin étroit et scabreux, qui permettrait de compter à la fois sur les voix du Parti socialiste et sur celles de la N-VA, il faudra à l’évidence avoir le courage de passer à autre chose. Le monde politique dans son ensemble, et les deux formateurs en particulier, seraient bien inspirés de ne pas s’entêter davantage. On a déjà perdu beaucoup de temps à Bruxelles.
Hier, toujours sur notre antenne, Maxime Prévot invitait Écolo à faire connaître ses conditions pour monter en majorité. Là aussi, c’est un appel qui a peu de chances d’aboutir, en tout cas à court terme. Si toutes ces hypothèses étroites et scabreuses n’aboutissent pas, il faudra sans doute se résoudre à envisager une autre solution : celle de deux majorités dissociées. Ensemble, le MR, Les Engagés et le PS disposent d’une majorité, à condition d’arriver à recoller les morceaux. Ils pourraient donc avancer sur le remplacement des ministres actuels, sans que cela ne passe formellement par l’installation d’un nouveau gouvernement, où une double majorité est nécessaire. Cela pourrait être ressenti comme un passage en force des francophones. Mais après sept mois de blocage et face à l’urgence budgétaire, ce serait une manière de sortir de l’impasse. Après tout, ce n’est pas de la faute des francophones s’il faut quatre partis pour former une majorité côté néerlandophone. Des solutions existent donc. Elles sont scabreuses et étroites, elles ne sont ni élégantes ni parfaites, mais il faut avancer.
Dans ce bourbier, il y a tout de même une nouvelle donne qui est passé inaperçue, c’est le report du prochain rapport de l’agence Standard & Poor’s sur l’état des finances de la Région bruxelloise. Prévu pour mars, il serait décalé au 13 juin (c’est ce que le magazine Trends/Tendances annonçait il y a quelques jours) . C’est à double tranchant, puisque ce report enlève un peu de pression. D’un autre côté, cela laisse trois mois de plus pour avoir un gouvernement et, surtout, trois mois supplémentaires pour travailler sur un rééquilibrage du budget bruxellois.
Fabrice Grosfilley