L’édito de Fabrice Grosfilley : les vrais-faux candidats bourgmestres

Dans son édito de ce mercredi 4 septembre, Fabrice Grosfilley revient sur les têtes de liste aux communales.

Hadja Lahbib ne sera donc probablement pas bourgmestre de Schaerbeek. On écrit “probablement” parce qu’on ne sait jamais en politique. Mais disons que la probabilité est extrêmement faible. D’abord, pour une raison électorale et mathématique : pour être bourgmestre, il faut que le rapport de force vous soit favorable. Que votre parti arrive en tête le soir des élections, c’est mieux, ou au moins que vous puissiez monter une coalition dans laquelle vous pesez suffisamment pour revendiquer le poste de bourgmestre. À Schaerbeek, depuis plusieurs décennies, les libéraux, minés par des dissensions internes et sans leader incontestable, ne sont pas un parti qui a la faveur des électeurs. Schaerbeek, c’est un fief de DéFI. Même si le 9 juin, le MR a obtenu trois fois plus de voix que DéFI dans cette commune, on retrouvait en tête à Schaerbeek le PS et le PTB. Mais le 9 juin, on votait pour la Chambre et la Région, pas pour les communales, et cela change tout.

Il y a une deuxième raison pour laquelle Hadja Lahbib ne sera probablement pas bourgmestre : sa désignation comme commissaire européenne. Candidate commissaire, pour être plus précis, puisqu’elle devra encore obtenir l’aval du Parlement européen. Là, ce n’est plus une question de mathématiques, c’est une question de règlement. Si l’on est commissaire européen, on ne peut pas être bourgmestre, ni échevin. Point final. Dans les faits, Hadja Lahbib peut se déclarer candidate bourgmestre si ça la chante, mais c’est un argument de campagne à la limite du fallacieux puisqu’elle ne pourra pas exercer un mandat schaerbeekois si elle est effectivement désignée à la Commission européenne… sauf à imaginer qu’elle renonce à ce poste de commissaire européenne ou que les députés lui barrent la route et refusent son investiture.

Ce risque-là n’est pas à prendre à la légère. Les auditions au Parlement européen ne sont pas une simple formalité. En 2019, les députés européens avaient recalé deux commissaires qui ne s’étaient pas montrés assez convaincants lors des auditions qui précédaient leur installation. Hadja Lahbib va devoir se préparer à répondre à des questions sensibles. Son intervention dans le dossier des visas de la délégation iranienne du Brussels Summit en 2023, son voyage dans une Crimée annexée par la Russie en 2021, par exemple, sont des polémiques qui vont fatalement refaire surface. Ceux qui suivent les affaires européennes savent qu’une audition au Parlement s’apparente parfois à une chasse à courre ; il faut être blindé et bien préparé pour résister à des parlementaires qui ne sont pas toujours de bonne foi.

De ce point de vue-là, Hadja Lahbib risque de se retrouver face à une épineuse question de calendrier. Les élections communales sont programmées pour le 13 octobre, on ne changera pas la date. Courant octobre, on n’a pas encore la date précise, c’est aussi le moment où doivent se tenir les fameuses auditions des candidats commissaires devant le Parlement européen. L’idée est que la nouvelle Commission Von der Leyen puisse être installée pour le 1er novembre. On voit mal Hadja Lahbib faire le tour des marchés (ce n’est pas trop son caractère de toute façon) ou multiplier les meetings, les réunions Tupperware, les porte-à-porte et les interviews, alors qu’elle doit dans le même temps préparer son audition au Parlement européen. Dans les faits, la candidate Lahbib doit mener deux campagnes de front, à Schaerbeek et au niveau européen, elle va devoir choisir, et on devine bien quelle campagne aura la priorité.

Soyons honnêtes, Hadja Lahbib n’est pas la seule à se déclarer candidate bourgmestre tout en sachant qu’en cas de succès, elle ne  le serait pas. Valérie Glatigny, Elisabeth Degryse, David Leisterh ou Ahmed Laaouej, par exemple, sont dans la même situation. Ils ne peuvent pas être ministres ou aspirer à le devenir tout en étant demain aussi bourgmestres. Au mieux, ils seront bourgmestres empêchés et devront passer le relais à un homme ou une femme de confiance. Et on peut encore élargir le spectre, puisqu’il est désormais interdit aux députés régionaux bruxellois d’être à la fois bourgmestre ou échevin et parlementaire. Ridouane Chahid, Bernard Clerfayt ou Vincent De Wolf ont de bonnes chances d’être élus à Evere, Schaerbeek ou à Etterbeek. Eux aussi, en cas de succès, devront choisir entre leur engagement communal et leur mandat de parlementaire.  Pour certain le choix est déjà clairement exprimé (Bernard Clerfayt a annoncé qu’il choisirait sa commune), d’autres sont moins explicites. Cela n’a rien de scandaleux ; légalement, on a tout à fait le droit d’être candidat en siégeant déjà à un autre niveau de pouvoir. C’est après l’élection que les élus doivent choisir. Du côté de l’électeur, on peut évidemment ne pas avoir le même ressenti. Avoir l’impression d’avoir été trompé, d’avoir voté pour des gens qui n’avaient jamais eu l’intention de siéger et qui avaient mis leur nom en haut de l’affiche dans l’unique intention de faire des voix. C’est sans doute pour cela qu’il est important de s’informer avant d’aller voter. Parce qu‘un électeur averti est un électeur plus difficile à tromper. Lire la presse, écouter la radio et faire confiance aux journalistes pour apprendre à connaître les programmes et les intentions cachées des candidats, c’est le meilleur moyen de ne pas se laisser manipuler.

Fabrice Grosfilley