L’édito de Fabrice Grosfilley : l’environnement ne vote pas

Dans son édito du mercredi 31 janvier, Fabrice Grosfilley revient sur les taxations sur les voitures de société, avec un moteur thermique.

Il n’y aura donc pas de hausse de la taxation sur les voitures de société avec un moteur thermique. On ne déclenchera pas non plus la chasse aux abuseurs qui profitent du système dans une logique d’optimisation fiscale, et en compensation, on va amortir l’augmentation des abonnements SNCB pour les salariés (quand c’est l’employeur qui paye) et l’indemnité vélo est augmentée. C’est le résultat d’un compromis survenu lundi soir entre les différents partis de la majorité Vivaldi et dont les détails ont été présentés à la presse hier matin.

Petite explication. Initialement, il avait été convenu qu’on pénaliserait fiscalement les voitures de société à moteur thermique au fur et à mesure que le marché de la voiture électrique se développait. Ces voitures électriques gagnant effectivement du terrain, ceux qui optent quand même pour le thermique aurait donc du être pénalisés. Cela devait se faire par une hausse de la taxation sur l’avantage toute nature qui existe sur ces voitures mises à la disposition (pour ceux qui ne bénéficient pas du système : la partie qui correspond à l’usage privé du véhicule sur laquelle le salarié est donc logiquement taxé). L’augmentation aurait pu être douloureuse de l’ordre de 20%, elle sera finalement ramenée entre 5 et 10%, et ne représentera qu’une dizaine d’euros par mois.

On comprend la logique électorale derrière cette décision. À 5 mois des élections se mettre à dos se mettre à dos les très nombreux bénéficiaires de voitures de société n’était pas porteur (560 000 voitures de société au dernier comptage, un chiffre en constante augmentation). Le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem, a donc demandé à revoir la mesure. Les libéraux en ont profité pour réclamer (et obtenir) le retrait d’un dispositif anti-fraude porté par le même ministre des Finances – en résumé ce dispositif prévoyait qu’en cas de forte suspicion de fraude fiscale, il revenait au contribuable de prouver qu’il n’avait pas fraudé (une sorte d’inversion de la preuve, surnommé “anti-abus”). Et comme dans un compromis, il faut satisfaire tout le monde, les partis verts ont obtenu une petite rallonge pour la mobilité douce.

À 5 mois des élections, les amateurs de moteurs thermiques peuvent donc afficher un petit sourire. On ne touchera pas trop à leur portefeuille. Derrière cette décision électoraliste, c’est la politique en faveur de l’électrification du parc automobile qui lève le pied. On ne parlera pas d’un coup de frein, la décision n’est valable que pour cette année, mais elle est quand même très symbolique : elle illustre l’incapacité qu’ont nos gouvernements à aligner leurs promesses en matière de lutte contre le réchauffement climatique (la réduction de 50% de nos émissions de gaz à effet de serre pour 2030, l’objectif de la neutralité carbone en 2050), avec la réalité de leurs décisions concrètes dans les domaines de la mobilité, de l’énergie, de la fiscalité, de la politique industrielle. On affiche donc des objectifs et se prétend prêt à jouer les bons élèves , mais dès qu’une mesure douloureuse se présente, il est préférable d’y renoncer. Cette adaptation aux humeurs (supposées) de l’électeur n’est pas un bon signal et nous invite à relativiser la portée des mesures présentées comme ambitieuses à l’issue d’une grande négociation : même ce qui est décidé lors d’un conclave budgétaire peut toujours être détricoté plus tard.

Cette reculade sur les voitures de société intervient, c’est un hasard, au moment où les agriculteurs mettent sous pression l’ensemble des décideurs politiques européens et nationaux. Là aussi, les questions d’environnement et de climat ne sont pas absentes, même si la préoccupation principale concerne le revenu et la concurrence avec des produits meilleurs marchés venus d’ailleurs. Une partie des revendications des agriculteurs concernent ainsi une série de décision européenne en matière de climat ou d’environnement. La manière dont les agriculteurs wallons ont d’ailleurs pris à partie la ministre de l’Environnement Céline Tellier il y a deux jours à Daussoulx indique bien cet état d’esprit : c’est haro sur l’écologie, qui serait responsable de la plupart des maux des agriculteurs. Tant pis si le ministère de l’Agriculture est au main de la famille libérale depuis 1999 (après avoir la chasse gardée du CVP pendant longtemps) et que les écologistes ne soient pas réellement présents et influents au sein des exécutifs européens (que ce soit le conseil ou la commission). Quand on est en colère, on cherche des boucs émissaires, il est parfois plus facile de viser un symbole que les décideurs avec lesquels il va falloir négocier.

Dans les deux cas, le rappel est le même. Les conditions de vie, le salaire, la rémunération et, pour les plus favorisés, le confort, sont bien plus mobilisateurs que la défense du climat ou de la nature. Lorsque les élections approchent le pouvoir d’achat efface tout le reste. C’est ce constat qui amène certains à dire qu’une lutte efficace contre le réchauffement climatique est incompatible avec un système démocratique dont l’horizon est remis à zéro à chaque élection, tous les 4 ou 5 ans. L’économie et le social restent l’alpha et l’oméga des mouvements de grogne et du débat électoral. Le climat et la nature, par définition, ça ne vote pas.

Fabrice Grosfilley