L’édito de Fabrice Grosfilley : l’économique et le politique
Les patrons bruxellois ont donc un nouveau représentant. Il s’appelle Thierry Geerts. Il prendra la direction de Beci à partir du 1er juin en remplacement d’Olivier Willocx, qui a donc quitté son poste pour faire de la politique. Thierry Geerts, vous connaissez peut-être son nom, ou même son visage ou sa voix, car il a été pendant près de 12 ans le patron de Google Belgique. Il a bénéficié à cette occasion d’une petite exposition médiatique. Beci, pour rappel, est le résultat de la fusion entre la Chambre de Commerce et l’Union des Entreprises bruxelloises, une organisation qui se veut la représentante des entreprises bruxelloises (l’organisation estime parler au nom de 35.000 d’entre elles).
Thierry Geerts devient donc le nouvel administrateur délégué de Beci, et on scrutera avec intérêt ses premiers pas à la tête de l’organisation dans les prochaines semaines. Ces derniers mois, ou peut-être même ces dernières années, les relations entre Beci et le gouvernement bruxellois se sont en effet tendues. Avec des critiques sur la mobilité ou sur la manière dont la région bruxelloise gérait son budget, puis des attaques frontales sur la diminution des subsides d’aides à l’export, qui ne sont pas toujours bien passées du côté de la majorité. On estimait que Beci sortait de son rôle de syndicat des entreprises et faisait un peu trop souvent de la politique. Comme si le patronat bruxellois avait décidé de s’ériger en contre-pouvoir et ne reconnaissait pas la légitimité des politiques régionales voulues par l’électeur. Le fait qu’Olivier Willocx soit finalement candidat pour le Mouvement Réformateur achèvera de convaincre ceux qui, au PS ou à Ecolo, avaient adopté cette lecture.
Le monde patronal et le monde politique ont pourtant tout intérêt à collaborer et à régler leurs différents ailleurs que sur la place publique. D’abord parce que tout ne va pas si mal à Bruxelles. C’est vrai que quelques entreprises quittent Bruxelles, mais il y en a aussi beaucoup qui se créent. Ces dernières années ont parfois assisté à une guerre des chiffres sur cette question entre Beci et les membres du gouvernement. Les chiffres peuvent parfois être instrumentalisés dans un sens positif ou négatif. On peut par exemple noter que Bruxelles est la seule région du pays à connaître une baisse des faillites par rapport à 2022, selon les chiffres du bureau Graydon. Et pourtant, entre 2021 et 2022, plus de 800 entreprises bruxelloises ont choisi d’aller s’installer en Wallonie, rétorquera-t-on en face. Le prix du terrain, la fiscalité, la qualité de la main-d’œuvre et ses qualifications, la proximité avec les marchés visés, la proximité des sous-traitants, il y a de multiples facteurs qui peuvent expliquer les décisions des entreprises. Durant ces 20 dernières années, Bruxelles est malgré tout parvenue à rester parmi les régions européennes les plus créatrices de richesses. Pourtant, année après année, le baromètre des entreprises de Beci dressait un tableau très sombre de la situation, avec des entrepreneurs qui se disaient inquiets ou qui menaçaient de se délocaliser, sans parler d’un cotation des plus en plus négative des membres du gouvernement. À tel point qu’on a même pu accuser Beci de faire du “Brussels bashing”.
Est-ce que le changement d’administrateur ramènera un peu de sérénité et de confiance entre les décideurs économiques et les décideurs politiques ? Est-ce que le gouvernement bruxellois, qui se mettra en place après le 9 juin, sera plus sensible aux demandes des entreprises ? C’est dans ce contexte qu’intervient ce changement d’administrateur. Mais il y a peut-être plus intéressant encore : la carrière de Thierry Geerts. Il a commencé par la blanchisserie industrielle, il a enchaîné avec les médias, il a travaillé pour l’éditeur flamand Mediahuis, puis il a rejoint Google Belgique. Thierry Geerts a aussi écrit sur la question de l’intelligence artificielle. Que le nouveau patron des patrons connaisse cet univers-là, c’est capital pour Bruxelles. Le numérique, l’économie digitale, l’intelligence artificielle, c’est l’avenir de notre économie. C’est sans doute là que se trouve le réservoir des emplois de demain. Bruxelles a tout intérêt à se positionner sur la carte du numérique, la Région Parisienne semblant avoir désormais une longueur d’avance. C’est un chapitre qu’il faudra probablement ajouter à la prochaine déclaration de gouvernement : comment booster les entreprises dans ce secteur, favoriser la recherche, mettre en place des clusters ou des programmes de formation. Une forme d’union sacrée entre le monde politique et les décideurs économiques serait très probablement un atout plutôt qu’un handicap.