L’édito de Fabrice Grosfilley : l’eau, c’est la vie
Dans son édito de ce mardi 14 novembre, Fabrice Grosfilley revient sur l’affaire des PFAS.
L’eau, c’est la vie. “L’eau n’est pas nécessaire à la vie, elle est la vie”, avait précisément écrit Antoine de Saint-Exupéry. Il y a l’eau qui nous tombe sur la tête. Depuis le début de la semaine, nous sommes plutôt gâtés de ce côté-là. Et puis, il y a l’eau que nous consommons. Celle du robinet le plus souvent. Qui nous sert à la fois pour nous désaltérer (un bon verre d’eau), à faire le café, la cuisine, se doucher, etc. Nous sommes tous les jours en contact avec cette eau du robinet. Cette eau contient-elle des polluants ? La réponse est évidemment oui. L’eau 100 % pure, ça n’existe pas (sauf peut-être à la montagne, et encore). Toute la question est de savoir à quel niveau de pollution on se trouve. Quand une eau est déclarée potable, cela veut dire que les concentrations sont inférieures aux normes édictées pour protéger notre santé. La difficulté sur les PFAS (les substances per- et polyfluoroalkylées), c’est que ces polluants sont relativement récents. Jusqu’à présent, on ne les mesurait pas. Et la future norme européenne qui établit une limite à 100 nanogrammes par litre n’est pas encore application (adoptée en 2020, elle ne sera obligatoire qu’en 2026). D’un point de vue légal, la SWDE (société wallonne des eaux) peut se dire droit dans ses bottes même quand le taux de PFAS a atteint une moyenne de 282 nanogrammes par litre (presque trois fois la future norme maximale) dans le château d’eau de Chievres dans le Hainaut. D’un point de vue légal, pas de norme, pas de problème. D’un point de vue moral, environnemental et de santé publique, c’est une autre histoire.
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Ce qui est vrai pour la Wallonie l’est-il pour Bruxelles aussi ? Depuis quelques jours, on se pose évidemment la question. L’eau du robinet que nous consommons à Bruxelles et qui est commercialisée par la société Vivaqua provient de captages situés en Wallonie. Dans un communiqué publié jeudi, Vivaqua se veut rassurante en indiquant que des analyses régulières ont bien lieu en Région bruxelloise, que les concentrations en PFAS sont sensiblement inférieures à la future norme européenne et qu’en toute transparence, les analyses se trouvent sur le site internet Vivaqua.be. Et c’est vrai, j’ai été vérifié : sur ce site (la page est ici), si vous entrez votre adresse, vous pouvez demander mois par mois l’analyse de l’eau que vous consommez (cliquez sur l’onglet PDF et vous aurez trois pages d’analyses), polluant par polluant. Pour mon domicile, par exemple, qui dépend du réservoir de Rhode, la concentration des PFAS au mois d’août était de 21 nanogrammes/litre, on est bien cinq fois en dessous de la future norme. Avec deux bémols quand même. Les mesures sont effectuées par le laboratoire de Vivaqua (c’est le principe de l’autocontrôle) et la ligne consacrée au PFAS n’apparait qu’au mois de février de cette année, donc impossible de savoir ce qui s’est passé avant. Et, justement, au mois de janvier, on a constaté un dépassement de cette norme sur des mesures effectuées à Hal, dans le Brabant Flamand. Hal, c’est l’une des communes desservies par la société Vivaqua (qui fournit deux millions de ménages). La norme des 100 nanogrammes a donc été dépassée au moins une fois. Zuhal Demir, ministre flamande de l’Environnement, en a alerté Alain Maron, son homologue bruxellois.
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Est-ce que cette alerte a déclenché des investigations supplémentaires ? Est-ce que ce dépassement observé à Hal a pu aussi concerner la Région bruxelloise ? Pendant combien de temps ? C’est le genre de questions qu’on aimerait poser à Laurence Bovy, la patronne de Vivaqua. Pour l’instant, hélas, elle ne répond pas positivement à nos sollicitations d’interviews (la transparence a ses limites ou ses priorités dont les interviews en direct ne font pas toujours partie). Petite précision quand même sur le statut de Vivaqua. Notre société des eaux est une intercommunale. Elle ne dépend donc pas directement de la Région bruxelloise, mais de ses actionnaires qui sont les communes (et dont les élus siègent au conseil d’administration). En revanche, c’est bien au ministre de l’Environnement qu’il revient de s’assurer que notre eau est de qualité. Alain Maron a donc un pouvoir de contrôle. Interrogé sur les PFAS au printemps dernier par les parlementaires, le ministre bruxellois de l’Environnement avait annoncé qu’une réglementation est en cours d’écriture et qu’une norme bruxelloise serait d’application à partir du mois de janvier 2024, donc deux ans avant la date limite de la directive européenne. C’est ballot que l’actualité ait devancé cette réglementation bruxelloise de quelques mois.
Enfin, une dernière réflexion. On peut évidemment blâmer les sociétés de distribution d’eau de ne pas avoir été suffisamment prévoyantes. Ou les ministres de ne pas avoir assumé avec suffisamment de sévérité leur rôle de surveillance. Il appartient aux députés, qui ont la charge de contrôler les gouvernements, tant à Bruxelles qu’en Wallonie, de l’établir et d’en tirer d’éventuelles conséquences. Cela ne nous empêche pas collectivement d’avoir une réflexion plus large sur la pollution. Il serait préférable de prendre le problème en amont, à la source, sans mauvais jeu de mot, plutôt qu’en aval, quand il affecte notre santé. Quand on veut une agriculture (sur)performante, des industries à la pointe ou des produits plastiques toujours plus innovants et surtout pas trop chers, on génère des polluants. Il est inévitable qu’ils puissent réapparaitre un jour dans notre environnement ou notre chaine alimentaire.
Fabrice Grosfilley