L’édito de Fabrice Grosfilley : le pape et nous

Envoyés spéciaux, modifications de programmes, directs avec les correspondants sur place, spécialistes en plateau, images d’archives, rétrospectives. Depuis hier, les chaînes de télévision sont toutes mobilisées autour de la mort du pape François. Même chose pour les quotidiens que vous pourriez acheter ce matin : la photo du pape à la une, partout.  Dis-moi comment tu parles du pape, je te dirai qui tu es.  Dix pages pour La Libre Belgique, huit pages dans La Capitale, sept pages dans La Dernière Heure, six pages dans Le Soir… mais une seule page dans L’Écho. Comme si, dans le monde de l’économie et de la finance, on n’avait pas trop de place pour un chef d’État dont le pouvoir semblait plus spirituel qu’économique.

Dans tous ces articles, on évoque bien sûr le bilan du pape François. Un pontificat dont on attendait beaucoup, surtout du côté des chrétiens progressistes, qui espéraient un rééquilibrage après le conservateur Benoît XVI.  Beaucoup d’éditorialistes et de spécialistes s’accordent ce matin pour dire que le bilan du pape est mitigé, et qu’il doit être pris chapitre par chapitre.
François s’est montré volontariste sur la question des violences sexuelles, il a tenu un discours fort sur l’immigration et l’environnement, appelant sans relâche à la paix et à la tolérance, apportant son soutien aux Palestiniens. Il a voulu poser des gestes envers les croyants homosexuels.

Mais en revanche, il s’est montré intransigeant, voire relativement conservateur, sur la place des femmes dans l’Église ainsi que sur les grandes questions éthiques : l’euthanasie, l’avortement… Là-dessus, le pape François n’a pas fait bouger la doctrine catholique d’un iota. Pire même : il a tenu des propos qui, vus d’Europe occidentale, semblent particulièrement conservateurs et provocants.  Comparer les médecins qui pratiquent l’avortement à des tueurs à gages : c’était particulièrement choquant. Inconvenant même. Cela aurait sans doute mérité une réaction du gouvernement belge, puisque c’est à la suite de son déplacement en Belgique que le pape François avait tenu ces propos.

Un voyage en Belgique qui avait donc souligné ce côté conservateur du pape François, et mis mal à l’aise quelques catholiques pratiquants. Le souverain pontife avait aussi surpris tout le monde en improvisant une visite sur la tombe du roi Baudouin — pas annoncée au programme. Il avait salué “le courage du roi qui avait quitté sa place pour ne pas signer — je cite — une loi meurtrière”. Lors de la messe au stade Roi Baudouin, qui avait réuni 35 000 personnes, le pape avait même annoncé sa volonté de béatifier le roi Baudouin.  Dans son avion de retour vers Rome, le pape François avait été encore plus cash :

“Un avortement est un homicide. Les médecins qui font cela sont… sont des tueurs à gages.”

Des propos qui avaient scandalisé, notamment le monde médical. L’UCLouvain avait pris ses distances, et des croyants avaient annoncé sur les réseaux sociaux qu’ils entamaient des démarches pour se débaptiser et prendre leurs distances avec l’Église. Pour être tout à fait juste, on rappellera aussi que pendant ce voyage, le pape avait pris le temps de sortir du protocole pour aller saluer les fidèles, et qu’il avait partagé un petit déjeuner avec des sans-abri et des mal-logés à Saint-Gilles.

Depuis hier, on a pu observer les nombreuses déclarations, les innombrables messages émanant de personnalités belges et rendant hommage au pape décédé.
On adresse sa compassion aux croyants, on loue les mérites du disparu. On n’oublie pas qu’il y a un électorat catholique, et même des personnalités qui se revendiquent de la laïcité — et qui voudraient parfois l’inscrire dans la Constitution — se sont fendues d’un message en ce sens.  Ces réactions, cette couverture médiatique, qui va encore nous occuper un petit temps… Il est fort probable que vous verrez, dans les journaux télévisés, des directs quotidiens jusqu’à ce qu’on ait une fumée blanche et la désignation d’un nouveau pape.

Cette mobilisation politique et médiatique dit quand même quelque chose de l’influence toujours grande de la doctrine catholique dans notre société occidentale.
Que le vice-président américain J.D. Vance ait d’ailleurs tenu à rencontrer le pape — et ait été l’une des dernières audiences, sinon la dernière, accordée par le souverain pontife — est révélateur de l’influence morale ou spirituelle incarnée par le pape.

Il n’est pas interdit d’y réfléchir. Dans un pays comme la Belgique, dont les institutions politiques se veulent neutres sur le plan philosophique, la place de l’Église catholique, bien qu’en constant recul, reste centrale. Sur les questions d’avortement ou d’euthanasie, son influence est évidente. De même que sur l’abattage rituel ou le port du voile, l’influence des communautés musulmane ou juive est aussi bien présente. Ou que le simple fait de parler de Gaza révèle souvent un clivage culturel très lié au religieux. Souffrir de l’influence des uns, et ne rien dire de celle des autres, c’est peut-être manquer un peu de distance. Ou, pour reprendre un vocabulaire approprié à la thématique du moment : quand on parle de l’influence du religieux dans la vie de la cité, on peut parfois être de bonne foi… mais aussi, souvent, de très mauvaise foi.

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22 avril 2025 - 09h17
Modifié le 22 avril 2025 - 10h26