L’édito de Fabrice Grosfilley : le pape et l’avortement
Un uppercut. Un triple uppercut même, puisque le Pape a décidé de frapper trois fois sur la question de l’avortement. Premier message samedi, lorsque François décide d’aller se recueillir sur la tombe du roi Baudouin dans la crypte royale de l’église de Laeken. Dans un communiqué, il indique avoir voulu “saluer le courage du roi “lorsque celui-ci a quitté sa place pour ne pas signer “une loi meurtrière”. La loi meurtrière, c’est la loi Lallemand de 1990, qui autorise alors partiellement l’interruption volontaire de grossesse. Le délai légal est de 12 semaines, les médecins ne sont pas obligés de pratiquer une IVG, et un délai de 6 jours est imposé aux femmes qui désirent la pratiquer. Pour ne pas avoir à signer ce texte, le roi Baudouin s’est mis en impossibilité de régner. Il sera rétabli dans ses fonctions deux jours plus tard. Qualifier cette législation de “meurtrière” est un propos particulièrement fort, qui montre encore et toujours l’hostilité du Vatican à tout avortement, quel qu’il soit. Une hostilité de principe, rappelée alors que samedi était la journée internationale pour le droit à l’avortement.
Deuxième uppercut, dimanche matin. Le Pape annonce qu’il va initier le processus de béatification du roi Baudouin. “Que son exemple d’homme de foi illumine les dirigeants. Je demande que les évêques de Belgique s’emparent de cette cause pour la faire avancer”, a déclaré le souverain pontife devant les 37 500 fidèles qui assistaient à la messe. Le Pape a donc de la suite dans les idées. Troisième uppercut, dans l’avion qui le ramène à Rome. Alors qu’il débriefe son voyage et répond aux questions des journalistes, il maintient le qualificatif de meurtrier : “Les médecins qui pratiquent cela sont, permettez-moi l’expression, des tueurs à gages”, dit-il. Interrogé sur les protestations de l’UCLouvain, qui a publié un communiqué pour se distancier de ses positions, il précise que pour lui “un féminisme exagéré, qui rend les femmes chauvinistes, ne fonctionne pas.”
Les 37 000 personnes qui ont assisté à la messe de dimanche sont-elles en accord avec ces propos ? Peut-être, peut-être pas. On notera que les déclarations papales interviennent alors que le dossier de l’avortement est de nouveau au centre des débats parlementaires. Ou qu’il aurait pu l’être. Une proposition de loi portant le délai légal pour avorter à 18 semaines, et réduisant le délai de réflexion imposé aux femmes, a été déposée au Parlement. Mais les partis qui négocient actuellement une potentielle coalition Arizona se sont mis d’accord pour renvoyer cette question à plus tard. On n’en parle pas maintenant, pour ne pas fâcher le CD&V et sans doute la N-VA. Avec le risque qu’on indique dans l’accord de gouvernement qu’on n’en parlera pas du tout pendant la législature. Pourtant, il y a des nuances au sein de l’Église catholique. Tout le monde ne pense pas comme le Pape François. La preuve avec la KUL et l’UCLouvain, qui ont fait entendre leur divergence sur la question de la place de la femme.
Dernière réflexion, et elle est importante : cette immixtion d’un culte dans le débat public, avec des propos aussi violents, est la démonstration que le religieux et le politique sont, quoiqu’on en dise, intimement liés. La démonstration que l’Église catholique, moins influente qu’avant, ne renonce pas à interférer avec le pouvoir législatif, critiquant une loi votée par le Parlement, encensant celui qui a voulu y faire obstruction, encourageant les évêques à faire de ce dossier une de leurs priorités et donc à faire pression sur le processus politique en cours. Hier, le gouvernement fédéral ne faisait aucun commentaire. KO, peut-être, sous le coup des 3 uppercuts. Ou en accord, peut-être, sur le fond avec les propos du Pape. Imaginez un seul instant que ce soit le représentant d’une autre religion qui ait tenu des propos comparables, parlant de loi meurtrière, qualifiant de saint celui qui avait refusé de promulguer une loi voulue par la majorité, et encourageant son clergé à y faire obstacle. Que cela n’ait pas concerné le droit des femmes à disposer de leur propre corps, mais la souffrance animale ou la neutralité des services publics. Cela aurait été un tollé. On aurait parlé d’ingérence, d’interférence, de provocation. On aurait parlé de propos idéologiques incompatibles avec le respect de la démocratie et du vivre-ensemble. Et cela aurait été mérité.
Fabrice Grosfilley