L’édito de Fabrice Grosfilley : le livre ou le smartphone ?

Quatre jours, 1 200 auteurs ou autrices, des débats par dizaines, des files à n’en plus finir pour obtenir une dédicace ou échanger quelques mots avec le romancier ou la romancière qu’on admire le plus au monde : c’est la Foire du Livre. C’est forcément un évènement, notamment parce qu’après plusieurs éditions perturbées par la Covid-19, la foire retrouve une organisation classique, basée sur la présence physique et la rencontre directe entre un auteur et ses lecteurs.

Quand on y réfléchit, ce rapport physique au livre est l’un des “atouts charmes “de la lecture. Qu’il s’agisse d’un roman, ou d’une bande dessinée, d’un livre d’art ou d’un manga qu’on feuillette en sens inverse, le fait de tenir un objet entre ses mains, de tourner les pages, de le refermer un jour et de le rouvrir le lendemain, tout cela participe à notre plaisir de la lecture. La meilleure preuve en est que le livre numérique (dont on annonçait qu’il allait supplanter le livre papier) n’a finalement pas vraiment trouvé son public.

Notre rapport aux livres dit beaucoup de qui nous sommes. Évidement, les classes sociales les plus favorisées ont plus facilement accès aux livres et à la lecture, et les enfants qui sont familiarisés plus jeunes à cet exercice auront plus de facilités dans leur parcours scolaire, alors que ceux qui passent plus de temps sur les écrans auront plus de difficultés.  Cela n’empêche pas le livre d’être un bien de consommation très accessible et relativement universel. Des romans de gare aux livres de poche, du livre d’occasion à la bibliothèque, il y a moyen de lire pour pas cher, pour rien ou presque rien. On ne dira jamais assez que l’invention de l’imprimerie, et la diffusion de masse des livres au pluriel nous ont fait faire un bond en avant considérable dans la diffusion des savoirs et de la culture. Les études prouvent d’ailleurs que dans le monde de l’enseignement, les élèves comprennent mieux un texte qui leur est présenté sur un support papier, un livre par exemple, que lorsqu’on leur présente le même texte sur un support numérique, un ordinateur ou une tablette.

Lire aussi | La 52e édition de la Foire du Livre commence ce jeudi

Le livre n’est pas menacé, mais le livre doit se défendre. D’abord parce que c’est un secteur économique. De l’éditeur aux libraires, en passant par l’imprimeur et les auteurs, le secteur du livre, comme tous les autres, doit résister aux assauts de la mondialisation, de la numérisation et de l’intelligence artificielle. Le cauchemar des livres qui s’écrivent tout seul, qui seraient imprimés en Chine (ou autre pays pratiquant les bas salaires de votre choix) et nous arrivent à la maison sans qu’on ait eu besoin de sortir de chez soi est une dystopie pas loin de devenir une réalité. Défendre le livre dans sa diversité, c’est défendre des emplois, mais aussi bien sur une certaine forme de créativité, et une culture qui nous est propre, celle qui est associée à notre langue, à notre histoire, à notre imaginaire. Avoir lu Le Petit Prince de Saint-Exupéry, Les Misérables de Victor Hugo, Madame Bovary ou les fables de la Fontaine, mais aussi 1984 d’Orwell, Tintin et Astérix, Titeuf, un San Antonio ou un Guillaume Musso nous fournit un cadre commun et des sujets de conversation, cela tisse du lien et nous fait appartenir à une société.

Hasard du calendrier, l’Agence France-Presse publie ce matin une très intéressante interview de Martin Cooper. Martin Cooper est un ingénieur américain âgé de 94 ans. Il est considéré comme l’un des pères de la téléphonie portable. C’est lui qui passé le premier appel de l’histoire avec un téléphone mobile en 1973.  Que nous dit-il ? Martin Cooper explique qu’il est anéanti de voir des gens traverser une rue sans lever le nez de leur portable. Le problème n’est pas le portable, dit-il (à 94 ans, il continue d’ailleurs d’acheter les derniers modèles mis sur le marché), le problème, c’est que les gens passent trop de temps dessus. Mais ça changera, estime Martin Cooper, “chaque nouvelle génération est plus intelligente que la précédente”, on apprendra donc à utiliser les smartphones de manière plus efficiente. Levez les yeux de votre portable, prenez un livre, je vous assure, ça fait du bien.

Retrouvez L’Édito en replay et podcast (Apple Podcasts, Spotify, Deezer…) en cliquant ici

Fabrice Grosfilley