L’édito de Fabrice Grosfilley : le danger de l’enlisement
Sommes-nous capables de sortir de l’enlisement ? Quand je dis “nous”, je pense surtout à nos hommes et femmes politiques. Ceux et celles qui sont censés nous représenter et prendre des décisions en notre nom. De légiférer et gouverner la région où nous habitons dans le but d’améliorer la vie du plus grand nombre. Quand je parle d’enlisement, je fais bien sûr référence à ces négociations interminables en vue de former une nouvelle majorité.
Pour bien comprendre ce qui est en train de se passer cette semaine, je vous propose de décortiquer les choses. Il y a au moins trois niveaux d’action à observer, trois théâtres d’opérations qui sont suffisamment distincts pour obéir à leur dynamique propre, et qui pourtant s’interconnectent et s’influencent.
Le premier niveau, ce sont les négociations régionales en elles-mêmes. La mission d’information menée par Elke Van den Brandt et Christophe De Beukelaer a marqué une pause hier. On a laissé passer les bureaux de parti du lundi ainsi que le débat budgétaire au Parlement bruxellois. Les réunions reprendront aujourd’hui. Le but des deux informateurs est de revoir tous les partis et de leur poser désormais des questions précises sur les majorités qu’ils acceptent ou non d’envisager, afin d’arriver en fin de semaine – vendredi si possible – à une conclusion claire : quelles sont les coalitions possibles et celles qui ne le sont pas ? En fonction des réponses des uns et des autres, on pourra relancer ou non un processus de formation de gouvernement.
Deuxième niveau : ce qui se passe au Parlement régional. Nous arrivons doucement vers la fin du mois de mars, et le Parlement bruxellois va donc devoir prolonger le système des douzièmes provisoires. Cette prolongation des crédits, sur base de ce qui se faisait l’an dernier département par département, avait déjà été votée pour la période de janvier à mars. Il faut donc maintenant faire la même chose pour la période allant d’avril à juin. C’est indispensable si l’on veut que les services régionaux puissent continuer à fonctionner.
Hier, le ministre du Budget, le libéral néerlandophone Sven Gatz, a donc présenté une proposition d’ordonnance qui sera soumise au vote du Parlement. Cette fois, le gouvernement en affaires courantes s’y est pris bien à temps pour obtenir le feu vert de l’inspection des finances, ce qui n’a pas empêché des partis de l’ancienne opposition de se montrer critiques. Clémentine Barzin, cheffe de groupe pour le MR, a pointé un dérapage sur les salaires, puisque des augmentations barémiques et des indexations ont été intégrées au calcul. “À ce rythme-là, nous aurions une année en 16/12e pour les salaires, c’est-à-dire une augmentation de 33,3 % pour une année“, a-t-elle souligné. Du côté des Engagés, Christophe De Beukelaer a estimé que les crédits sollicités dépassaient de 811 millions d’euros le principe des douzièmes provisoires, si l’on se basait sur une reproduction stricte de ce qui avait été dépensé l’an dernier à la même période.
Ces interventions sont un peu déroutantes, mais tout à fait logiques. Déroutantes, parce que le MR et Les Engagés sont théoriquement appelés à faire partie de la prochaine majorité – ce n’est pas pour rien que Christophe De Beukelaer a endossé une mission d’informateur. Si un accord existait et que ces partis faisaient effectivement partie d’une majorité, ils pourraient agir sur le budget. Elles sont en même temps logiques puisqu’il n’y a pas d’accord, et que l’ancienne opposition estime toujours être dans l’opposition… alors que l’ancienne majorité n’est plus une majorité. Ce débat souligne à quel point la situation est politiquement incongrue et surtout budgétairement instable. Il faut impérativement un gouvernement de plein exercice pour redresser le budget.
Le troisième niveau, ou troisième théâtre d’opération, ne se situe ni dans les salles discrètes de négociation ni dans les tribunes du Parlement, mais dans les médias, avec deux sorties très remarquées hier matin. La première est celle de Georges-Louis Bouchez sur La Première. En fin d’interview, il a indiqué que si la Région bruxelloise se retrouvait prochainement en difficulté financière et devait demander l’aide du fédéral, il serait particulièrement dur sur les conditions de cette éventuelle aide. “Je ferai partie de ceux qui demanderont les conditions les plus strictes de réformes”, a-t-il déclaré, évoquant des réformes politiques, économiques et budgétaires. Utiliser d’éventuelles difficultés financières pour imposer des réformes depuis l’extérieur à la Région bruxelloise , c’est une rhétorique que l’on avait déjà entendue du côté néerlandophone, notamment à la N-VA, et qui est donc désormais reprise par le président du Mouvement Réformateur.
Deuxième déclaration marquante, celle de Bernard Quintin, ministre de l’Intérieur, lui aussi membre du Mouvement Réformateur. Il a affirmé sur RTL et dans Het Laatste Nieuws que la fusion des zones de police aura lieu quoi qu’il arrive. Il compte déposer un projet de loi en ce sens avant l’été, si possible avec la collaboration des bourgmestres, et sans eux si nécessaire.
Cet alignement du Mouvement Réformateur sur la vision néerlandophone de ce que devrait être la bonne gestion de la Région bruxelloise est une donnée importante dans les négociations en cours. Ce positionnement du MR, qui se comporte davantage comme un parti d’opposition que comme un parti de gouvernement, ne laisse pas penser à ce stade qu’il est en train de se rapprocher des partis de l’ancienne majorité. Au contraire, c’est comme si le match entre le PS et le MR était toujours en cours, et que ces deux partis étaient très loin de pouvoir former une majorité ensemble. Même chose entre le MR et la famille écologiste, qu’il s’agisse d’Écolo ou de Groen, ou encore entre le MR et Défi. En théorie, le MR, qui a gagné les élections, est en position de gouverner et de revendiquer la ministre-présidence. Mais pour cela, il faut qu’il trouve des partenaires et forme une majorité.
Il ne faudrait pas que ce qui se passe sur le terrain médiatique finisse par donner le ton à ce qui se passe au niveau des négociations. Si c’était le cas, l’enlisement pourrait durer longtemps.