L’édito de Fabrice Grosfilley : le cœur du sujet climatique

Dans son édito du mardi 5 décembre, Fabrice Grosfilley revient sur la COP28.

Cette fois-ci, on entre dans le vif du sujet : sommes-nous capables de nous passer des énergies fossiles ? Pouvons-nous demain, vivre sans avoir recours au gaz et au pétrole ? La question est simple en apparence, mais ses conséquences sont vertigineuses. On image bien l’ampleur des adaptations nécessaires, et que nous avons pourtant renoncé à affronter jusqu’à présent. Imaginer un monde sans énergie fossile, ce sont des voitures qui ne roulent plus au diesel ou à l’essence, des chauffages qui ne marchent plus au gaz, des entreprises dans la métallurgie ou ailleurs qui changent toute leur chaîne de production. Vous comprenez que ce n’est évidemment pas simple, que ce changement a de quoi nous faire peur, et que si nous ne voulions pas le regarder en face jusqu’à présent, c’est parce que nous craignons confusément qu’il affecte notre confort et notre niveau de vie.

Pourtant sortir des énergies fossiles, c’est bien la question qui est désormais sur la table de la COP28, la conférence des parties sur le climat, qui se réunit en ce moment à Dubaï. Avec d’un côté, les scientifiques et les Nations unies qui insistent pour que cette expression “sortir des énergies fossiles” figurent bien dans le document final. Et des entreprises et une partie des États qui font tout pour que le terme “sortie” ne soit pas utilisé pour qu’on continue de parler de réduction. Réduire n’est pas interdire. Réduire n’est donc pas fermer le robinet sur lequel les sociétés pétrolières gardent la main. Réduire ce n’est pas totalement renoncer aux gigantesques bénéfices que ces sociétés engrangent chaque année. Réduire, c’est même la garantie d’un certain niveau de revenus, puisque si le gaz et l’essence deviennent plus rares, ils se vendront à un prix qu’on peut prévoir élevé.

Pourtant réduire n’est pas la solution nous alerte les scientifiques. D’autant plus quand les promesses de réduction ne se concrétisent pas. Malgré tous les engagements et bonnes résolutions des 27 COP précédentes, une étude dévoilée ce matin révèle que le niveau d’émission de gaz à effet de serre n’a jamais été aussi haut qu’en 2023,  avec une progression de plus de 1% par rapport à l’an dernier. Selon les scientifiques, il y a désormais une chance sur deux que le cap des 1,5 degré de réchauffement soit atteint d’ici 2030. 2030 c’est dans 7 ans. Nous nous montrons incapables d’inverser la tendance, incapables de réduire réellement la production de gaz carbonique, ce fameux CO2 qui contribue à l’effet de serre. Plutôt que de réduction, c’est donc bien d’une sortie pure et simple de ces carburants fossiles qu’il faut que nous parlions maintenant nous enjoignent les scientifiques. Une sortie c’est clair et c’est définitif. C’est pas “un peu moins”, c’est zéro. C’est l’objectif que l’humanité doit désormais se fixer, et y arriver le plus tôt possible sera ce que nous pouvons faire de mieux pour le climat. Y arriver dans un délai raisonnable qui permette à l’économie mondiale de continuer à fonctionner sera le compromis qui permettra de se rapprocher d’une forme de consensus rassurant pour tout le monde, à commencer par les milieux d’affaires.

Parmi les plus réticents à employer le terme de sortie, il y a bien sûr les pays producteurs de pétrole. Les Émirats Arabes Unis, qui accueillent cette Cop 28 en font partie. On a déjà beaucoup pointé du doigt le sultan Ahmed Al Jaber, qui préside les travaux de cette COP28, tout en étant ministre des émirats et président de la Compagnie Nationale de Pétrole. De nouvelles révélations parues dans le Guardian, un journal britannique lui prêtent des propos inquiétants, estimant qu’il y avait “aucune base scientifique” prouvant qu’une sortie des carburants fossiles contribuerait à contenir le réchauffement climatique à 1,5 degrés, estimant même qu’une sortie des carburants fossiles nous ramènerait “au monde des cavernes.” Ses propos ont été immédiatement condamnés par le monde scientifique. Le sultan a tenté de les corriger en indiquant que «la science indique que nous devons parvenir à zéro émission nette d’ici 2050», et que son étoile polaire (comprenez sa boussole) restait bien de ne pas dépasser 1,5 degré. Il n’empêche que la méfiance s’est désormais installée. Et que le sultan Al Jaber pourrait bien incarner la nouvelle forme du climatoscepticisme. Celle qui consiste à estimer que vivre sans énergie fossile n’est pas possible. Quitte à observer que la terre va pendant des décennies encore, continuer à se réchauffer.

Fabrice Grosfilley