L’édito de Fabrice Grosfilley : la Vivaldi, entre titans et Titanic
Fabrice Grosfilley revenait sur le sort d’Hadja Lahbib dans Bonjour Bruxelles ce jeudi 22 juin.
C’est donc un bras de fer. Avec des protagonistes qui bandent leurs muscles, se regardent droit dans les yeux et se demandent qui va craquer le premier. Depuis hier soir, le sort de la ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib se joue donc au bras de fer. Avec d’un coté la famille libérale qui lui apporte son soutien. De l’autre l’opposition et surtout une partie non négligeable de la majorité qui ne semble ne plus lui accorder la confiance nécessaire pour continuer à diriger la politique extérieure du royaume de Belgique. L’issue de ce bras de fer reste ce matin incertaine. La tension risque même d’aller crescendo jusqu’à la séance plénière prévue cette après-midi à la Chambre.
Il faut dire qu’hier, Hadja Lahbib n’a pas réussi à se sortir des difficultés dans lesquelles elle est plongée depuis quelques jours. Alors qu’elle était interrogée hier en commission des relations extérieures, elle n’a reconnu aucune faute , aucune erreur, ni d’elle ni de ses services, alors qu’au même moment, à coté d’elle, le Premier ministre Alexander De Croo reconnaissait lui que” les choses auraient du se passer autrement“. Hier les députés ont donc très logiquement souligné les contradictions entre les deux prises de paroles d’Hadja Lahbib. Il y a une semaine ,jeudi dernier précisément, en séance plénière, elle avait rejeté toute la faute sur le secrétaire d’Etat de la Région bruxelloise Pascal Smet. C’est lui et lui seul qui était responsable de l’invitation de la délégation iranienne, alors que le niveau fédéral avait tenté de le décourager. Hier autre version, il fallait éviter d’infliger un camouflet aux Iraniens, et le Premier ministre avait lui-même donné son accord. Ces deux versions sont peut être compatibles sur le fond, elle sont fort différentes dans la forme. Dans le premier cas, on charge un ministre d’un autre niveau de pouvoir, dans le deuxième on reconnait qu’il était difficile de faire autrement. Et tout cela n’explique toujours pas comment on se retrouve au final avec une délégation de 14 personnes dans la nature, y compris avec la possibilité de filmer des opposants sans aucun contrôle.
“J’ai été jeté sous un bus”, résumait avec une formule imagée Pascal Smet lorsqu’il a présenté sa démission dimanche. Dans le bus, il y avait Hadja Lahbib au volant et probablement la voix de Georges-Louis Bouchez dans le GPS. Autant dire que Vooruit, le parti de Pascal Smet, ne va pas faire de cadeau à la ministre des Affaires étrangères. Vooruit mais aussi le parti socialiste, Groen et Ecolo n’ont pas envie d’arrondir les angles et de tendre une perche à Hadja Lahbib pour qu’elle se sorte des sables mouvants dans lesquels elle est en train de s’enfoncer. Le bras de fer en politique, comme dans la vie, consiste à appuyer jusqu’à ce qu’on torde le bras de l’adversaire. En séance plénière à 14h, les députés risquent donc de devoir prendre en considération deux motions sur lesquels ils devront alors se prononcer la semaine prochaine. Soit ils voteront sur une motion de défiance déposée par la N-VA. Soit la motion d’ordre pure et simple déposée par la famille libérale obtient une majorité qui permet d’éviter cela. Pour l’instant, les socialistes et les écologistes ne soutiennent pas cette motion pure et simple. Dans la famille libérale, on veut croire que c’est de la gesticulation, de l’intimidation, dans le registre “ils n’oseront jamais”. Parce que faire tomber la ministre des Affaires étrangères reviendrait à créer une crise gouvernementale majeure. Que le gouvernement fédéral d’Alexander De Croo (qui doit théoriquement accoucher d’ici au 21 juillet d’une réforme fiscale capitale pour doter la majorité d’un minimum de bilan à défendre) se verrait envoyé de par le fond, dans les grandes profondeurs.
Ce matin, les acteurs de cette saga iranienne nous évoquent les passagers du Titan, ce petit sous-marin porté disparu dans l’atlantique nord. Les titans de la majorité fédérale ne retiennent plus leurs coups. Mais ils se débattent dans un espace clos où ils commencement à manquer d’oxygène. On n’est pas sur que leur sous-marin puisse refaire surface. Et on se demande même si la majorité Vivaldi ne finit pas par ressembler au Titanic ?
Fabrice Grosfilley