L’édito de Fabrice Grosfilley : la couleur des négociations

Fabrice Grosfilley - Photo Couverture

Dis-moi quelle est ta couleur et je te dirai quel est ton nom. C’est un peu le jeu auquel communicants et journalistes se livrent ces jours-ci avec la formation des coalitions gouvernementales aux différents niveaux de pouvoir. Trouver un nom pour désigner une majorité, que ce nom soit compréhensible pour le grand public, qu’il ne soit pas péjoratif, et si possible même un peu positif, c’est un enjeu de communication auquel les états-majors des partis accordent beaucoup d’importance.

Pour les négociations en Wallonie et à la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’affaire semble entendue. On parle d’une coalition Azur. Pour rappel, ces négociations associent deux partis. Le Mouvement réformateur, c’est un bleu soutenu, les spécialistes diront bleu électrique. Les Engagés ont choisi le turquoise, qui est bleu mélangé à une pointe de vert. Choisir l’azur comme symbole, c’est donc opter pour un bleu légèrement plus pâle que le bleu électrique. Les spécialistes parleront de bleu outremer. La pointe de vert, en revanche, a clairement disparu. Les étudiants en école d’art qui nous écoutent ou lisent tiqueront un peu. En réalité, en mélangeant du bleu électrique et du turquoise, on obtient plutôt un bleu vert d’eau, un bleu canard (c’est pas vendeur) ou un bleu Tasman (j’ai trouvé cela chez un marchand de peinture), mais c’est une autre histoire. En faisant une petite recherche ce matin, j’apprends que le bleu azur s’accorde particulièrement bien avec les couleurs brique et ocre. Ça tombe bien, ce sont les couleurs du CDH, l’ancêtre des Engagés. On aurait voulu le faire exprès qu’on n’y serait pas arrivé.

En Flandre, on parle depuis la semaine dernière de mettre en place une coalition Rocket. Pourquoi coalition Rocket ? N’imaginez pas quelque chose de guerrier, avec des scuds qu’on s’échangerait d’un partenaire à l’autre, ou un bombardement de réformes par exemple. Non, la coalition Rocket, c’est en liaison avec une glace. Si vous avez des enfants, vous connaissez peut-être ces glaces en forme de fusée, qui s’appellent Rocket justement. Ananas, orange, framboise, pour les parfums. Ce qui donne pour les couleurs, le jaune de la N-VA, l’orange du CD&V et le rouge de Vooruit, le parti socialiste flamand. On souhaite aux membres de la future majorité flamande que la coalition glacée ne soit pas une coalition glaciale, et que le sucre de la glace Rocket apporte un peu de douceur pour compenser l’acidité des arômes artificiels.

Pour le fédéral, pour l’instant, on n’y voit pas encore très clair, mais la probabilité de voir émerger au fédéral une majorité qui associerait la majorité de la région flamande et celle de la région wallonne est plausible. Une Rocket azurée en quelque sorte. Là, les communicants proposent le nom de coalition Arizona. Le drapeau de l’Arizona, c’est une partie inférieure bleue, un bleu assez sombre quand même, une étoile orange au milieu et des rayons de soleil rouges et jaunes dans la partie supérieure. Bleu pour le MR, orange pour le CD&V, jaune pour la N-VA et rouge pour Vooruit. Il manque malgré tout le turquoise des Engagés, le symbole n’est pas parfait. On se rappellera aussi que l’Arizona, est l’un des États sur lesquels Donald Trump avait tenté de faire pression pour inverser les résultats de l’élection présidentielle de 2020. En termes d’image, on peut sûrement mieux faire.

Il reste Bruxelles. Pour l’instant, on n’a pas encore de coalition. On aura une base Azur puisque MR et Engagés ont décidé de s’associer dans la région bruxelloise aussi. On devra ajouter une touche de vert puisque Groen est incontournable côté néerlandophone. On aura peut-être à l’arrivée du rouge avec le PS, mais rien n’est garanti à ce stade. On pourrait parler d’une coalition arc-en-ciel, mais c’est vague et cela renvoie aux années Verhofstadt, ou d’une coalition Iris, la fleur symbole de la région Bruxelloise, qui existe en plusieurs coloris…  Sans oublier l’iris de nos yeux qui a la capacité de changer de couleur avec l’âge ou en fonction du temps. Et en cas d’échec, il n’est pas exclu qu’on reparte dans l’autre sens, avec une grande coalition de gauche, ces “50 nuances de gauche” selon le slogan du MR, qui associerait socialistes, écologistes et PTB.

Nous avons des yeux pour voir les couleurs, nous pouvons aussi être attentifs à ce qu’entendent nos oreilles pour décoder la partie en cours. La partie musique qui accompagne la mise en place de ces coalitions est donc très intéressante et pourrait, elle aussi, donner lieu à des noms de baptêmes inspirés. En Wallonie, on pourrait parler d’une coalition trompette : oyé oyé braves gens, voyez comme nous avançons vite. En Flandre, ce serait plutôt la coalition orchestre de chambre, interprétant par exemple la petite musique de nuit de Wolfgang Amadeus Mozart, tant Bart De Wever avance avec discrétion puisqu’il faut contenter tout le monde, ne pas aller trop vite, au risque que Vooruit ne tombe un gros coup de cymbales qui ruinerait la dentelle des violons de la N-VA.

Pour la Région Bruxelloise, à ce stade, c’est coalition silence radio. On se fait discret. Si vous transposez l’exercice à la recherche d’un titre de film, ce serait “Le silence des profondeurs”, ou  “Le grand bleu”, ou mieux encore “A la poursuite d’Octobre rouge”, ce film avec Sean Connery où des sous-marins se pourchassaient en risquant le tout pour le tout. Octobre, la date des élections communales, cela ne vous aura pas échappé. Revenons à l’audition, pour le Fédéral, où la crainte est clairement exprimée d’une coalition de la cacophonie. Où l’un des partis serait associé au gouvernement, mais resterait très critique dans son expression pour des raisons électorales. Les regards se tournent vers le MR (qui a pratiqué de la sorte pendant la précédente législature) et Vooruit (qui serait le plus à gauche de la potentielle majorité)  qui pourraient ainsi choisir la partition de la participation-opposition.  Bart De Wever serait ainsi tenté d’imposer un “silence dans les rangs”… pour éviter qu’on ne finisse par parler d’une coalition klaxon.

Fabrice Grosfilley