L’édito de Fabrice Grosfilley : la chronique du vide
Dans son édito de ce jeudi 26 juin, Fabrice Grosfilley revient sur le blocage dans les négociations bruxelloises.
Rien. Il ne se passe rien. Si vous vous intéressez aux négociations en vue de former une majorité à la Région bruxelloise, vous l’avez peut-être remarqué ces derniers jours : le sujet a complètement disparu des radars. Pas une ligne dans les journaux, plus de déclarations fracassantes à la radio ou à la télévision, pas même une réunion plus ou moins discrète à signaler, plus aucun document à commenter. Ce n’est pas que la presse serait mal informée ou distraite par d’autres sujets. C’est vraiment qu’il ne se passe rien.
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Dans le courant de la semaine dernière, le Mouvement Réformateur avait encore tenté de relancer son initiative en faveur d’une coalition sans le PS. Les libéraux avaient envoyé aux autres formations politiques un semblant de programme budgétaire. Un document qui, en réalité, ne comprenait aucun tableau financier, et qui paraissait tellement proche de leur propre programme que plusieurs partis n’ont même pas daigné répondre. Et le MR lui-même n’a pas insisté. Il n’a pas réellement tenté d’organiser des entretiens sur base de ce texte, contrairement à ce qu’il avait annoncé.
Les négociations bruxelloises ressemblent donc à un encéphalogramme plat. Le Mouvement Réformateur ne consent toujours pas à acter qu’il est en position d’échec. Pas de démarche d’ouverture qui permettrait d’envoyer un signal vers le Parti Socialiste ou vers Ecolo. Pas de volonté non plus de se passer de la N-VA, alors que la présence des régionalistes flamands dans l’équation est l’un des facteurs majeurs de blocage. Formellement, le MR, premier parti de la Région bruxelloise, est celui qui a la main. Mais pour l’instant, il n’en fait plus rien. Si l’on veut être positif, on dira qu’il attend que les tensions s’estompent avant de relancer une nouvelle tentative. Mais si cette nouvelle initiative continue de privilégier la N-VA aux partis francophones, ce sera de toute façon un nouvel échec. Il faudra un changement de logiciel du côté libéral si l’on veut sortir de l’enlisement.
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À gauche, l’hypothèse d’une majorité progressiste a donc été refermée. Vooruit, le parti des socialistes néerlandophones, n’a pas souhaité s’engager dans ce qui ressemblait à une aventure instable. Le parti de Conner Rousseau a donc rapidement tiré la prise, douchant du même coup le président des socialistes bruxellois francophones, Ahmed Laaouej, qui s’est retrouvé trahi par un de ses partenaires pourtant théoriquement proches de lui. Le torchon brûle désormais entre le PS et Vooruit. Les deux partis menacent de déposer des listes dans le collège linguistique de l’autre. S’ils vont jusqu’au bout de leurs menaces, cela signifierait l’éclatement de la famille socialiste en deux tendances concurrentes et potentiellement antagonistes : un PS des quartiers populaires, hostile à toute collaboration avec la N-VA, incarné par Ahmed Laaouej, et une tendance social-démocrate compatible avec la N-VA, défendue par Conner Rousseau.
À droite, on est donc enlisé. À gauche, on est en échec et on se déchire. Restent les partis du centre. On va parler de centre au sens large, avec Les Engagés bien sûr, mais aussi la famille écologiste — en particulier Groen qui, avec ses quatre sièges, est aujourd’hui le parti dominant dans le collège néerlandophone. Pour l’instant, eux non plus ne bougent pas. Ils regardent. Et donc : rien. Il ne se passe plus rien dans ces négociations. Comme si les négociateurs attendaient un miracle qui descendrait du ciel.
Après un an de tergiversations, de ruptures, de refus et d’altercations verbales toujours plus violentes, tout le monde semble tétanisé. Il y a trois jours, j’étais invité à présenter un exposé sur la situation politique bruxelloise à un groupe de chefs d’entreprise. Ils voulaient essayer de comprendre comment on en était arrivés là. J’ai donc expliqué : les difficultés financières qui font que personne n’a réellement envie de monter dans un gouvernement qui pourrait rapidement devenir impopulaire, les querelles de personnes qui rendent toute négociation impossible, les égos qui s’entrechoquent, les stratégies nationales qui prennent le dessus sur les intérêts régionaux, et la difficulté mathématique, donc objective, qu’il y a à former des majorités dans les deux collèges linguistiques quand le paysage politique devient aussi morcelé.
Mais ce n’est pas parce que c’est objectivement difficile qu’il faut renoncer. La chronique du vide à laquelle je m’astreins ce matin, en vous parlant de ces négociations inexistantes, c’est aussi la mort lente de notre Région bruxelloise. Ceux qui participent à cet enlisement, qui s’en satisfont, qui le favorisent ou le regardent, sourire en coin, porteront demain une lourde responsabilité. Quand la Région bruxelloise sera effectivement bloquée, définancée, ingouvernable, ils auront fini par donner raison aux nationalistes qui rêvent de mettre Bruxelles sous tutelle. De la flamandiser. De l’absorber et de la fondre dans une future Flandre indépendante ou autonome.
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Bruxelles, c’était l’atout majeur des francophones. Le verrou qui devait empêcher le pays d’éclater. Ce verrou est en train de sauter. Tous ceux qui contribuent à son ouverture, en jouant avec le futur de la Région bruxelloise, doivent donc y réfléchir à deux fois. Il est minuit moins cinq. Ce n’est pas parce que les vacances d’été approchent qu’on a le droit de se résigner. Pour l’instant, c’est le chaos à Bruxelles. Et on cherche les hommes et les femmes d’État qui seront capables de nous en sortir. Il devient maintenant urgent qu’ils — ou elles — prennent leurs responsabilités et se manifestent.
Fabrice Grosfilley





