L’édito de Fabrice Grosfilley : la barre à droite

Michel Barnier, peut-il trouver une majorité, ou au moins échapper à un vote de motion de censure ? Le nouveau Premier ministre français commence ce matin un tour de consultations politiques ; il débutera par les dirigeants des Républicains, le parti dont il est issu. Objectif : former un gouvernement et s’assurer qu’il pourra disposer d’une majorité relative à l’Assemblée nationale. C’est donc un Premier ministre de droite qui a été choisi par Emmanuel Macron. Pas du tout une personnalité du centre qui pourrait tenter de faire une grande synthèse droite-gauche, ni un technicien sans connotation politique, encore moins une personnalité de centre-gauche comme aurait pu l’être l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve. On doit accorder à Emmanuel Macron le mérite d’avoir choisi quelqu’un qui n’émane pas directement de la macronie. Les Républicains, ce n’est pas Renaissance, le parti d’Emmanuel Macron, ni le MoDem de François Bayrou. En allant chercher quelqu’un qui se trouve sur sa droite, Emmanuel Macron tourne donc le dos au nouveau Front populaire, et s’affranchit du vote des Français qui avaient placé cette alliance de gauche en tête des élections législatives de juillet.

Hier, les réactions à gauche étaient donc assez courroucées. “L’élection a été volée aux Français”, a rapidement réagi le chef de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon. “Nous entrons dans une crise de régime”, a estimé sur X (anciennement Twitter) le patron des socialistes français Olivier Faure. Les partis de gauche ont annoncé qu’ils déposeraient une motion de censure. L’installation du gouvernement de Michel Barnier dépendra donc du bon vouloir du Rassemblement national de Marine Le Pen. Si l’extrême droite décide de voter la censure, le gouvernement de Michel Barnier ne verra pas le jour et ce sera retour à la case départ. Dans le cas contraire, si le Rassemblement national lui laisse une chance, il sera dépendant des voix de l’extrême droite. Une position qui pourrait susciter le malaise au sein du camp présidentiel lui-même.

Pour se convaincre de ce coup de barre à droite, il est intéressant de se pencher sur le passé de Michel Barnier. Nous en avons, en Belgique, une image plutôt positive liée à son passage à la Commission européenne. Il a siégé dans la Commission présidée par Jean-Claude Juncker puis dans celle d’Ursula von der Leyen, et il a joué un rôle clé dans les négociations avec le Royaume-Uni au moment du Brexit, où il était négociateur en chef. Mais il faut se rappeler qu’il a aussi été ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Raffarin, sous Jacques Chirac, et ministre de l’Agriculture dans le gouvernement Fillon, sous Nicolas Sarkozy. L’ancrage à droite est donc indéniable. À tel point qu’en 2021, il envisage de se porter candidat à la présidence de la République avec un programme qui comprend notamment un bouclier constitutionnel, permettant à la France de s’affranchir des règles européennes en matière de migration. Il se prononce contre les régularisations et le regroupement familial, et souhaite l’interdiction du voile islamique dans l’espace public. Finalement, les Républicains ne lui accorderont pas l’investiture. Mais on a pu découvrir lors de cette campagne interne un Michel Barnier très à droite, moins europhile qu’on aurait pu le penser de la part d’un ancien commissaire. En clair, un républicain dont les idées apparaissent très clairement compatibles avec celles de l’extrême droite.

La une du quotidien Libération, ce matin, est éloquente : “Approuvé par Marine Le Pen”, imprimé en grosses lettres rouges, comme un tampon apposé sur la photo de Michel Barnier. Résumons la séquence française : l’extrême droite fait un carton aux élections européennes, Emmanuel Macron décide de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer des élections anticipées. L’heure est grave, il faut une clarification : “je donne la parole au peuple”. Surprise, aux élections législatives, l’extrême droite recule, les partis du centre dégringolent, et la gauche regroupée progresse et arrive en tête. Pendant deux mois, le président ne bouge plus : trêve olympique. Puis, hier, la nomination d’un Premier ministre issu d’un parti qui ne compte que 39 élus sur 577 à l’Assemblée nationale et qui fait partie des perdants de l’élection. Emmanuel Macron avait un jour annoncé qu’on jugerait ses deux mandats sur sa capacité à enrayer la montée de l’extrême droite. “Ce vote m’oblige”, disait-il encore au début du mois de juillet. Nous sommes début septembre. Il vient de nommer un ministre à droite de la droite qui ne pourra survivre que si Marine Le Pen le décide. Les méandres de la présupposée cohérence et sincérité de la pensée présidentielle nous semblent, ce vendredi, indéchiffrables.

Fabrice Grosfilley

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06 septembre 2024 - 12h21
Modifié le 06 septembre 2024 - 12h21