L’édito de Fabrice Grosfilley : Goma tombé, c’est toute la RDC qui tremble

Au moins 100 morts, un millier de blessés. C’est le bilan provisoire de la prise de Goma par les rebelles du M23. Depuis Bruxelles, il est toujours difficile de se faire une idée précise de la situation sur place. Mais ce bilan provisoire confirme qu’il y a donc bien eu des combats. Que la ville n’est pas tombée par miracle aux mains du M23. À ce stade, on sait que les rebelles contrôlent le palais du gouverneur, les studios de la télévision régionale et surtout l’aéroport de Goma. Cela n’empêche pas quelques résistances sporadiques, hier encore, des coups de feu résonnaient toujours à Goma. Il faut dire que l’État congolais y avait concentré de nombreuses troupes, il faut y ajouter les soldats de la Monusco, la mission des Nations unies, et les Wasalendo, des milices qui servent de troupes supplétives à l’armée congolaise officielle.

Les Wasalendo et les soldats congolais, sont-ils en train de se rendre, de fuir, ou au contraire opposent-ils encore des poches de résistance ? On ne le sait pas vraiment. La population civile est-elle à l’écart des combats ou non ? On ne le sait pas non plus. Le pire serait d’assister à un remake des scènes qu’on a pu connaître au Rwanda, avec des installations des Nations unies servant de refuges, soit pour des combattants, soit pour des civils, mais qui finiraient attaquées par le M23, les soldats de l’ONU se révélant incapables de protéger ceux qui s’y trouvent.

Si on a peu de certitudes sur ce qui se passe à Goma, c’est parce que cette grande ville de l’est du Congo, située au bord du lac Kivu avec environ 2 millions d’habitants, reste difficile d’accès. Les réseaux téléphoniques y sont souvent défectueux. L’électricité est régulièrement coupée. Depuis une dizaine de jours, on savait que la chute de la ville était une option qu’on ne pouvait plus écarter. Le M23 avait fini par encercler Goma, coupant la route qui reliait la ville à Bukavu. La prise de Goma, si elle se confirme, n’aura donc été qu’une affaire de quelques jours. C’est un camouflet terrible pour les forces armées congolaises et pour le gouvernement de Kinshasa, qui se révèle incapable d’assurer la sécurité dans l’est de son territoire.

Derrière, il y a les enjeux économiques, avec les minerais, les enjeux géopolitiques, avec le Rwanda qui est clairement à la manœuvre, mais aussi le sort des populations civiles et le risque d’affrontements ethniques. Il faut rappeler que le M23 est un mouvement rebelle constitué majoritairement de membres de l’ethnie tutsie. Ce mouvement accuse l’État congolais de marginaliser cette minorité. En face, les Wasalendo regroupent les anciennes milices Maï-Maï, ainsi que les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé composé de Hutus, opposé au président rwandais Paul Kagame, et dont certains des fondateurs auraient pris part au génocide rwandais.

Cette dimension ethnique, on ne peut pas l’ignorer si l’on veut essayer de comprendre ce qui se passe dans l’est du Congo. Ces enjeux, que les Congolais qualifient de “communautaires”, se superposent aux questions politiques et économiques, les justifient ou les amplifient parfois.

Des attaques sur des bases ethniques dans une région avec une histoire très sensible doivent être prises très au sérieux“, vient d’indiquer Vivian Van de Perre, responsable de la Monusco, dans une intervention vidéo. “Ces quatre derniers jours, le bureau des droits de l’homme (de l’ONU) a documenté au moins un cas de lynchage basé sur l’appartenance ethnique dans un site de déplacés à Goma”, a-t-elle noté. Elle a confirmé que les installations de l’ONU avaient bien ouvert leurs portes à ceux qui voulaient y trouver refuge. “La Monusco a accueilli de nombreuses personnes cherchant refuge”, a-t-elle indiqué, mais ces bases “ne sont pas capables d’accueillir le grand nombre de gens cherchant à se mettre à l’abri. Les bases de la Monusco ne sont pas sûres”, a-t-elle insisté, indiquant que des tirs de mortier avaient visé certains camps de la Monusco.

Du côté des autorités congolaises, le ton est tout aussi alarmant. On dénonce une véritable déclaration de guerre de la part des rwandais et on rappelle qu’il y a 500 000 déplacés dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu rien qu’au mois de janvier. Bref, la situation humanitaire est sur le fil, on le sent bien. Sur le fil aussi, l’autorité du gouvernement congolais.

Perdre le contrôle de Goma, c’est plus que symbolique. C’est une défaite qui consacre la supériorité militaire du petit voisin rwandais. La démonstration que l’État congolais est toujours un État faible, incapable de protéger son territoire. Grand territoire, petit pouvoir. Ce qui s’est passé hier soir, avec des ambassades prises d’assaut par la foule, n’est pas un indicateur de stabilité.

Fabrice Grosfilley