L’édito de Fabrice Grosfilley : gare à l’effet Wilders

Dans son édito du jeudi 23 novembre, Fabrice Grosfilley revient sur la victoire de l’extrême droite au Pays-Bas.

Les Pays-Bas ont donc mis un coup de barre à droite. Et on peut même parler d’un coup de barre vers l’extrême-droite tant le choix des électeurs néerlandais est encore plus clair qu’on ne pouvait le redouter. Les résultats, qui sont encore des résultats partiels à l’heure où j’écris ce texte mais qui commencent à se rapprocher des résultats définitifs, attribuent 37 sièges sur 150 au parti de Geert Wilders, qui a pu séduire près de deux millions d’électeurs. C’est 20 sièges de plus que dans l’assemblée sortante pour le “parti de la liberté”. L’alliance entre la gauche et les écologistes, emmenée par l’ancien commissaire européen Frans Timmermans aurait 25 sièges. Le VVD, le parti libéral du Premier ministre démissionnaire Mark Rutte passe de 34 à 24 sièges.

Pour comprendre l’émotion que provoquent ces résultats il faut s’arrêter un instant sur le programme du parti de la liberté de Geert Wilders. Un parti qui annonce son intention de “désislamiser” la société néerlandaise, et propose par exemple d’interdire les écoles coraniques, les mosquées, et même le Coran. Interdiction également de porter le foulard dans les bâtiments officiels. Son programme annonce aussi le rétablissement des contrôles aux frontières et la sortie des Pays-Bas de l’Union Européenne. Geert Wilders a annoncé que ce dernier point ferait l’objet d’un référendum s’il arrivait au pouvoir. Il faut souligner que Wilders a été condamné par la justice néerlandaise pour discrimination et insultes à l’encontre de la communauté marocaine. La prévention de haine raciale n’avait toutefois pas été retenue, et la condamnation n’avait été assortie d’aucune peine.

Cette nuit les messages de félicitations indiquaient clairement dans quel camp se trouve Geert Wilders, et quel est le courant européen qui se reconnait en lui, avec un message du président du Vlaams Belang, Tom Van Grieken, qui félicitait Geert Wilders “de tout son cœur”, un autre de Marine Le Pen pour le Rassemblement National qui soulignait “son attachement croissant à la défense des identités nationales”, ou encore celui de Victor Orban, le premier ministre hongrois qui s’est exclamé sur X (anciennement Twitter) ” les vents du changement sont là”.

Évidemment, 37 sièges sur 150 cela ne suffit pas pour former une majorité. Geert Wilders va donc devoir trouver des alliés pour essayer de former une coalition gouvernementale. C’est loin d’être gagné. Franz Timmermans a déjà annoncé qu’il refuserait d’entrer dans une majorité avec lui. En revanche Dilan Yesilgöz (qui a succédé à Mark Rutte à la tête du parti libéral) ne l’exclut pas, à condition que Wilders n’en soit pas le Premier ministre. Une autre formation de droite, le parti agrairien qui a obtenu 20 sièges pourrait également en faire partie. Mathématiquement une alliance très à droite semble donc possible, mais les tractations s’annoncent longues et compliquées.

Ces négociations seront suivies de prés par les partis belges et en particulier par les partis flamands. Parce que le paysage politique des Pays-Bas  ne semble pas très éloigné de celui que nous pourrions connaître en juin de l’année prochaine en Région flamande. Avec une extrême-droite (le Vlaams Belang) qui est classée premier parti dans les sondages loin devant des partis traditionnels, comme  l’Open VLD (libéraux flamands) ou le CD&V (sociaux chrétiens flamands), qui paraissent en difficulté. Et surtout un grand parti de droite régionaliste, la N-VA, qui reste ambiguë sur la possibilité de gouverner ou pas avec l’extrême-droite. Officiellement il n’en est pas question. Bart De Wever l’a dit à plusieurs reprises. Mais il a aussi indiqué qu’il ne le voulait pas parce que certains individus comme Filip Dewinter lui semblait infréquentables, laissant ainsi entendre que s’ils étaient mis sur la touche cela pourrait changer la donne. C’est toute l’habilité politique de Bart De Wever de savoir envoyer des signaux qui semblent clairs mais ne l’obligent pas vraiment. Il n’y a pas de conviction de principe favorable au cordon sanitaire fortement ancrée à la N-VA, c’est plutôt à ce stade une question d’opportunité pragmatique. Et on sait aussi que certains membres du parti, comme Théo Francken sont plus enclins à envisager une alliance avec le Belang pour faire avancer l’indépendance de la Flandre et donner un grand coup de barre à droite sur les questions de l’immigration ou de la politique socio-économique

Si après les élections de juin prochain les électeurs belges décident aussi de donner un coup de barre à droite et de plébisciter des formations politiques qui font du discours contre l’immigration leur axe de campagne, si les deux partis dominants sont bien en Flandre, le Vlaams Belang suivi de la N-VA (les sondages peuvent se tromper, ne l’oublions pas), le “bloc flamand” sera sans doute dans la tête de plus d’un homme politique. Si les partis du gouvernement néerlandais estiment que Geert Wilders est fréquentable, il sera difficile d’expliquer à l’électeur flamand que Tom van Grieken ne le serait pas. C’est pour cela que ce qui va se passer dans les prochaines semaines à la Haye, risque d’avoir une réelle influence sur ce qui se passera demain ou après-demain à Anvers et à Bruxelles.

Fabrice Grosfilley