L’édito de Fabrice Grosfilley : encadrer les Delhaize du futur à défaut de les contrer
Le gouvernement fédéral est-il en mesure de contrarier les plans d’un grand groupe comme Delhaize ? À l’évidence la réponse est non. Depuis des semaines le conflit s’enlise entre une direction qui suit sa feuille de route, avec le passage sous franchise de l’intégralité de ses magasins, et des syndicats qui tentent de s’y opposer en multipliant les grèves, les journées d’action, les opérations coup de poing. On vise un magasin par ici, on essaye de bloquer le dépôt par là, mais on sent très bien que tout cela s’essouffle et qu’à la fin c’est l’entreprise qui gagne.
Au sein de la majorité fédérale il y a clairement deux camps. D’un coté la famille libérale qui estime que l’entreprise est dans son bon droit, que le droit des travailleurs n’est pas menacé, qu’il faut protéger la liberté du commerce et que les franchisés feront très bien le job. De l’autre les socialistes et les écologistes qui se disent choqués par la méthode employée par la maison Delhaize et son actionnaire néerlandais Ahold, qui défilent au coté des travailleurs et qui déposent des propositions de loi pour essayer d’encadrer le passage sous franchise. On sait déjà que ces propositions de loi, notamment celle déposée par Amhed Laouej ne passeront pas. En tout cas pas sous cette législature, elles seraient de nature à faire tomber le gouvernement. Elles ont au moins le mérite de rappeler que droite et gauche n’ont pas le même point de vue sur la question. Avec le corolaire que dans un gouvernement de coalition quand un évènement imprévu survient en cours de législature, en cas de désaccord profond des partenaires le gouvernement se retrouve finalement paralysé. Incapable d’agir et de proposer une réponse. Entre ceux qui soutiennent l’entreprise et ceux qui soutiennent les syndicats on est arrivé à un point de blocage. Et quand l’autorité politique est bloquée, elle est condamnée à laisser faire. Les grandes entreprises l’ont très bien compris, et le monde de la distribution, on a pu le constater pendant la période Covid, ne manque assurément pas pas de pouvoir d’influence.
Hier, Pierre-Yves Dermagne a confirmé la préparation d’un autre projet de loi. Il ne s’agit plus de s’attaquer frontalement au passage sous franchise, ça les libéraux ne le veulent pas. Il s’agit plutôt d’encadrer le phénomène. Pour être précis le projet de loi Dermagne propose de clarifier lez zones d’ombres de la loi Renault. Cette disposition qui s’applique lors qu’une entreprise licencie. 7 mesures sont sur la table. Des mesures qui obligeraient l’employeur à donner plus d’informations aux travailleurs, d’être responsable d’éventuelles dettes sociales lorsqu’il cède l’entreprise à un repreneur, de prendre en compte le sort des entreprises sous-traitantes. L’idée du ministre fédéral de l’emploi est aussi d’interdire le recours aux étudiants lorsque les travailleurs sont en grève. Enfin la période de référence pendant laquelle on comptabilise les licenciements pour voir si la loi Renault s’applique serait doublée et passerait de 60 à 120 jours. . Ce n’est pour l’instant qu’un projet. Il a été transmis aux partenaires sociaux. Le gouvernement attend leurs réactions avant de commencer les discussions dans le courant de l’été
Est ce que ce texte aboutira ? Pas sur, surtout que la campagne électorale approche. Est-ce qu’il sera amendé, c’est probable. Pierre Yves Dermagne envoie malgré tout un signal. Celui qu’à défaut de pouvoir contrer frontalement un grand groupe comme Delhaize, il ne reste malgré tout pas inactif. Son texte s’il est adopté n’empêchera pas les passages sous franchises, ni les licenciements collectifs, mais il ajoute une ou deux balises. On pourra, au choix, y voir un verre à moitié plein, ou à moitié vide.