L’édito de Fabrice Grosfilley : douche écossaise

C’est la douche froide. Alors qu’on pensait qu’une sortie de crise était enfin à portée de main, qu’il aurait suffi de peu pour que l’on puisse enfin lancer des négociations en vue de former un gouvernement bruxellois, la réunion d’hier après-midi a finalement débouché sur un nouveau constat d’échec. L’Open VLD refuse d’entrer dans la discussion. “Pas sans la N-VA”, c’est le mantra que répète désormais inlassablement Frédéric De Gucht, le nouvel homme fort des libéraux néerlandophones dans la capitale. Un “pas sans la N-VA” qui entre en collision frontale avec le “jamais avec la N-VA” décrété par le Parti socialiste. C’est donc un retour à la case départ. Le blocage est intact.

Pourtant, il s’en fallut de peu pour que la sauce prenne hier. Puisqu’à l’exception de Frédéric De Gucht, tous les autres partis présents autour de la table faisaient contre mauvaise fortune bon cœur. Les plus optimistes noteront que la réunion a quand même pu avoir lieu – ce qui est en soi une avancée – et qu’une autre est programmée pour mercredi, ce qui prouve que tout n’est pas perdu et que, bon an mal an, cette discussion à sept est bien en train d’avoir lieu. Verre à moitié vide ou verre à moitié plein, c’est un peu de la méthode Coué. Et puis surtout, ces négociations avancent si lentement, elles entrent dans tant de subtilités diplomatiques et de faux-semblants stratégiques qu’il y a de quoi décourager l’observateur le plus averti.

Pour beaucoup d’observateurs, d’ailleurs, la position jusqu’au-boutiste de l’Open VLD est inexplicable. En termes de programme, remplacer la N-VA par le CD&V, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. En termes de rétorsion, l’Open VLD n’a rien à craindre de Bart De Wever : le parti est déjà dans l’opposition à tous les autres niveaux de pouvoir. La seule explication rationnelle serait une volonté de profilage personnel au sein d’un parti mal en point. Frédéric De Gucht restera comme celui qui se dresse contre les francophones et en particulier contre le PS.

Soyons de bon compte, si Frédéric De Gucht a claqué la porte de la négociation hier et endosse ainsi la responsabilité de l’échec, le scénario sans la N-VA ne faisait pas que des heureux. À commencer par le Mouvement Réformateur. En réunion hier, Georges-Louis Bouchez n’a pas formellement mis son veto à la piste proposée par les deux informateurs, mais il a clairement indiqué qu’il entendait être payé en retour, parce qu’il s’agissait pour lui d’une concession majeure. Georges-Louis Bouchez a même évoqué la notion de “parti frère” pour parler de la N-VA. À tel point qu’on peut se demander s’il n’y a pas là une forme de jeu de rôle, l’Open VLD étant en pointe mais avec le soutien plus ou moins tacite du Mouvement Réformateur.

Ce qu’on ressentait fortement hier à la fin de cette réunion, c’est que la famille libérale n’avait pas voulu faire de cadeau. Pas de cadeau au PS, qui engrangeait une victoire symbolique en se passant de la N-VA. Pas de cadeau à Elke Van den Brandt ou Christophe De Beukelaer, qui, en convoquant cette réunion, avaient tenté en quelque sorte de forcer le destin, alors que l’Open VLD n’avait pas formellement accepté ce scénario.

Que va-t-il se passer maintenant ? Pour le MR, c’est au PS de prendre la main puisque c’est lui qui a bloqué la solution N-VA. Pour le PS, ce serait plutôt au contraire à l’Open VLD de déminer le terrain, puisqu’il bloque la solution sans la N-VA. En observateur extérieur, on se contentera de noter que ni Ahmed Laaouej ni Frédéric De Gucht ne sont en mesure de débloquer la situation à moins de se faire hara-kiri et de renoncer à leur propre veto. L’idéal serait que David Leisterh reprenne le flambeau et arrache l’accord, fort de sa future casquette de ministre-président et de son statut de vainqueur des élections. Pour le MR toutefois les conditions ne sont pas réunies, et les garanties de succès insuffisantes à ce stade. Tout passage par un médiateur extérieur – une personnalité du monde économique, de la société civile ou un “grand sage” par exemple – serait le constat d’un enlisement de première classe. 

Pour conclure, on notera qu’hier, Frédéric De Gucht a quitté la réunion avant tout le monde. Il avait un avion à prendre, direction les pistes de ski. Pour la petite histoire, l’horaire de la réunion avait déjà été fixé à sa demande suffisamment tôt pour faciliter ce départ en vacances. Pour la réunion de mercredi, Frédéric De Gucht interviendra donc en visioconférence, toujours depuis les pistes de ski. Celles de la station de Verbier, en Suisse. C’est à ce genre de petits détails, habituellement passés sous silence, qu’on peut mesurer à quel point certains négociateurs ont fait de l’avenir de la Région bruxelloise leur vraie priorité.

Fabrice Grosfilley