L’édito de Fabrice Grosfilley : dans la sphère américaine
La Maison-Blanche décide, le monde entier s’exécute. Les décisions prises par Donald Trump sont-elles de nature à modifier le fonctionnement de la société belge ? Les États-Unis ont-ils le pouvoir de décider ce qui est bon ou mauvais pour le monde entier ? Cette question n’est pas neuve. Elle est d’une criante actualité depuis que GSK a décidé de retirer les mots diversité et équité de sa communication officielle et de ses sites internet.
« En tant qu’employeur aux USA qui a également des contrats avec l’État et le gouvernement fédéral, GSK est assujettie aux lois, aux règlements et aux exigences des contrats gouvernementaux des USA », s’est justifiée ce week-end l’entreprise pharmaceutique. Il ne s’agit pas seulement de communication, mais bien d’une révision de la politique menée par ce groupe pharmaceutique, qui emploie tout de même 9 000 personnes en Belgique, principalement dans le Brabant wallon. On rappellera que GSK, anciennement GlaxoSmithKline, est une multinationale britannique. Elle fait partie du top 10 mondial dans le secteur pharmaceutique.
Puisque Donald Trump, par décret, a interdit les politiques de discrimination positive — qui favorisent l’égalité des chances et permettent l’emploi de personnes issues des minorités – GSK entrevoit la possibilité de renoncer à ces politiques. « Nous devons rester en conformité avec l’environnement juridique des USA. Lorsque nos programmes d’inclusion opèrent aux USA ou impliquent des citoyens américains, nous faisons une pause qui nous permet de les examiner et de nous assurer qu’ils restent conformes. Les programmes qui opèrent en dehors des USA, et qui n’impliquent pas ou n’ont pas d’impact sur les Américains, se poursuivent », a ainsi précisé l’entreprise.
Cet alignement d’un des plus gros employeurs de Wallonie sur la politique de Donald Trump a suscité une volée de critiques. « Ce qui se passe chez GSK est grave et regrettable, c’est un vrai recul », réagit Patrick Charlier, directeur d’Unia, le centre belge pour l’égalité des chances. Il parle d’un “très mauvais signal”, même s’il note qu’il n’y a pas, en Belgique, d’obligation légale de mener des politiques de diversité.
Réaction également des syndicats, de la CSC notamment : « C’est choquant et inacceptable. La multinationale fait passer le business avant les valeurs d’équité et de diversité », déclare Aurore Joly, secrétaire permanente pour la CSC Industrie. « Nous sommes aussi très fâchés contre les responsables politiques belges qui se contentent de “s’offusquer”, qui parlent “d’une attitude regrettable des USA”, etc., mais qui ne se mouillent pas vraiment. »
Cette affaire GSK, est peut-être l’arbre qui cache la forêt. Car elles sont des dizaines, peut-être des centaines, les entreprises belges à avoir reçu ce fameux courrier leur demandant si elles se sont bien mises en conformité avec le décret présidentiel de Donald Trump. Parmi elles, il y a par exemple des fournisseurs ou des sous-traitants qui travaillent pour l’ambassade des États-Unis ou pour les installations de l’armée américaine, très présentes à Bruxelles (à l’OTAN) mais aussi au SHAPE, dans le Hainaut. Le journal L’Écho révélait ainsi la semaine dernière que cela concernait, par exemple, la société de gardiennage Securitas, en charge de la sécurité de l’ambassade américaine. C’est aussi le cas de Laurenty, entreprise de nettoyage basée à Liège, qui confirme avoir reçu un mail mais ne souhaite pas faire d’autre commentaire. Selon L’Écho, l’ambassade a commencé à résilier certains contrats.
Une ambassade, c’est un employeur très particulier, le prolongement de l’administration américaine. Mais quand on parle de GSK, ou d’entreprises du secteur informatique, de fabricants d’armes comme la FN, de constructeurs automobiles ou encore d’engins de chantiers, là, on est dans autre chose. Et en réalité, elles sont très nombreuses, ces entreprises qui ont l’un ou l’autre contrat avec les autorités américaines. Certaines ont fait le choix de ne pas répondre. D’autres modifient déjà une partie de leur politique de ressources humaines. La plupart essaient de ménager la chèvre et le chou, d’assurer que tout ce qu’elles font pour le marché américain est conforme, sans pour autant changer leurs habitudes pour les autres clients.
C’est un difficile jeu d’équilibre. Certains acteurs économiques risquent d’y perdre une partie de leur chiffre d’affaires. Tout cela nous ramène à une réalité que nous avons parfois un peu de mal à voir en face : celle de notre hyperdépendance à ce qui se passe aux États-Unis. Sur le plan économique et commercial bien sûr, au niveau de la sécurité avec l’OTAN, mais aussi sur le plan culturel — les films, la musique — ou technologique, avec Amazon, Facebook, Google… Nous sommes, qu’on le veuille ou non, sous influence américaine. Et peut-être que Donald Trump, par ses excès, nous offre une occasion unique de vouloir — et peut-être de pouvoir — en sortir.





