L’édito de Fabrice Grosfilley : à l’étage du dessus
Faut-il garder un œil sur la politique fédérale lorsqu’on est un média qui traite de l’actualité bruxelloise ? Ce matin, la réponse est clairement oui. Il est plus justifié que jamais d’attirer l’attention des Bruxellois sur ce qui se passe à l’étage du dessus, là où sont logées les autorités fédérales. Dans la maison Belgique, on peut avoir l’impression de vivre chacun dans son appartement. Cela ne nous empêche pas de partager la même cage d’escalier et de constater que ce que fait le voisin aura forcément un impact sur nos affaires.
Les locataires de la maison Belgique ont beau ne pas beaucoup s’aimer, certains allant jusqu’à vouloir avoir le moins de contacts possible avec ces voisins qui leur ressemblent si peu, ils ont, comme dans une copropriété, beaucoup de choses à régler en commun. Il y a évidemment la toiture budgétaire qui fuit de partout. Il y a le choix du fournisseur d’énergie – nucléaire ou éolien –, l’organisation du chômage qui risque de renvoyer la facture aux CPAS, la taxation ou non des voitures les plus polluantes, sans oublier la concurrence fiscale qui rend plus intéressant de s’installer au premier étage plutôt qu’au quatrième. Bref, le syndic de la maison Belgique a du pain sur la planche.
Si nous devons être attentifs à ce qui se passe au fédéral, c’est parce que cela ne sera pas sans conséquence pour la Région bruxelloise. Les projets de la coalition Arizona risquent de provoquer un big bang régionaliste qui aura des répercussions sur Bruxelles. Vous connaissez le débat sur la limitation des allocations de chômage à deux ans. Les chômeurs non indemnisés iront alors frapper à la porte des CPAS, et la facture sera donc en partie à la charge des communes. Autre décision fédérale dont on a déjà parlé : la potentielle fusion des zones de police. Passer de six zones à une seule fait partie des projets de la coalition Arizona. Tous les bourgmestres et commissaires en chef de la Région bruxelloise sont contre. Une étude universitaire a indiqué que cela n’apporterait rien, mais le projet semble malgré tout bien parti pour s’imposer.
Dans les projets de Bart De Wever et des présidents de parti qui l’accompagnent, on trouve également la suppression du Sénat, mais aussi la régionalisation de la politique scientifique. Cela peut sembler anodin, mais cette administration exerce une tutelle sur des institutions très bruxelloises, comme Bozar ou les musées royaux de la rue Royale. La rénovation du parc du Cinquantenaire, lancée par le gouvernement précédent, devrait être réduite. L’enveloppe du fonds Beliris serait également revue à la baisse. Initialement, il était question de le supprimer complètement, mais son fonctionnement traditionnel – un choix de projet opéré d’un commun accord entre la Région bruxelloise et l’État fédéral – pourrait être modifié. On y associerait la Flandre et la Wallonie, qui auraient leur mot à dire, avec potentiellement un pouvoir de blocage. Beliris pourrait également se retrouver sous la tutelle de deux ministres, un francophone et un néerlandophone.
Les négociateurs envisagent également de supprimer l’Agence pour le commerce extérieur. Certes, cette politique est en grande partie déjà régionalisée, mais il reste au niveau fédéral une société d’investissement, le contrôle du groupe Credendo (anciennement Ducroire) qui garantit les risques des entreprises à l’exportation, ainsi que l’organisation des missions économiques à l’étranger. Vous l’aurez compris, le communautaire est de retour. Et c’est notamment de cela que les négociateurs parleront aujourd’hui et demain avant de revenir à la « supernote » budgétaire dans les salons de Val Duchesse. À ce stade, un constat s’impose : il n’y aura aucun Bruxellois parmi les négociateurs de Val Duchesse. Seule exception, peut-être, Sammy Mahdi, qui a longtemps vécu à Bruxelles avant de s’installer à Vilvorde. Mais comme son parti a choisi l’opposition en Région bruxelloise, on peut réellement s’interroger sur la défense des intérêts bruxellois dans cette négociation.
À la fin de cette législature, si le gouvernement Arizona voit le jour et qu’il ne tombe pas en cours de route, nous serons aux portes de 2030. 2030, c’est théoriquement le bicentenaire de la maison Belgique. Ce sera aussi un chapitre intéressant du potentiel accord de gouvernement. Est-ce que la coalition Arizona dira quelque chose sur l’organisation de cet anniversaire ? Mettra-t-on les petits plats dans les grands, avec des projets ambitieux et des festivités fastueuses, ou est-ce que cet anniversaire sera sacrifié ? Quand on habite la même maison, on peut décider d’organiser la fête des voisins ou de n’en rien faire par manque d’envie. Cela en dira long sur l’atmosphère qui régnera entre nos entités fédérées dans les prochaines années.