Insécurité au Parvis de Saint-Gilles : “Nous avons pu nous parler, c’est déjà une réussite”
La situation d’insécurité au Parvis Saint-Gilles était au cœur d’un débat organisé hier soir à la Maison du Livre à l’initiative de riverains. Une cinquantaine de personnes, toutes concernées par le dossier, étaient présentes, et ont pu se parler et s’écouter. Une première, se félicitent les organisateurs. Et maintenant ?
Depuis plusieurs mois, des commerçants du Parvis de Saint-Gilles dénoncent l’insécurité grandissante sur la place. Des agressions, bagarres quotidiennes, des faits de violence liés à la consommation de drogue et d’alcool, qui ont augmenté avec le déconfinement. Jugeant l’action de la commune insatisfaisante, les commerçants avaient décidé, le 15 septembre dernier, de fermer leur terrasse en signe de protestation.
►Notre reportage : Parvis de Saint-Gilles : les commerces ferment à 16h
►Face à Face : Le temps du travail pluridisciplinaire avec la police est venu
En face, plusieurs citoyens s’étaient élevés contre l’action, dénonçant de son côté un processus de gentrification à l’œuvre depuis de nombreuses années dans la commune, destiné selon eux à cacher la misère. Entre les différents intervenants de cet épineux dossier, le dialogue semblait bloqué.
“Problème social avant tout ? “
19h15 ce mardi soir, une cinquantaine de personnes est rassemblée à la Maison du Livre. Dans le public : habitants, usagers de la place, travailleurs sociaux et associatifs, citoyens, employés du service prévention de la commune. « Très peu de commerçants, et aucun représentant ni de la majorité (PS – Ecolo), en dehors de l’échevin de la Prévention invité comme orateur, ni des partis de l’opposition (PTB et MR) », regrette Manuel Abramowicz, riverain et coorganisateur de l’événement. Face à eux, Bart Lemmens, cafetier, organisateur de la grève des commerçants ; Binta Liebmann Diallo, riveraine ; Jean Spinette (PS) échevin de la Prévention ; et Yves Vosté, membre du syndicat des Immenses.
Les problèmes sociaux à l’origine de la situation d’insécurité sont au cœur de nombreuses prises de parole. « Nous ne nions pas les problèmes d’insécurité ! »n affirme Binta Liebmann Diallo. « Notre réaction (contre la grève des commerçants, NDLR) est la conséquence de la réponse de la commune, qui constitue clairement un échec de la prise en charge de l’aspect social du problème. On nous parle de renforcement de la présence policière, 26 arrestations, une personne exclue du Parvis. Cela montre le manque de dialogue. Les riverains, cafetiers, les personnes qui vivent en rue, ont-ils été écoutés ? De la part d’une majorité communale de gauche, nous attendons mieux que ça », a déclaré Binta Liebmann Diallo. Les travailleurs sociaux font un travail remarquable, poursuit-elle, « mais c’est un pansement sur une plaie infectée. »
Dans le public, plusieurs riverains prendront la parole dans ce sens. « La grève des cafetiers était irresponsable », lance l’un d’eux. « On ne pouvait s’attendre à rien d’autre comme résultat que le déluge de haine auquel on a assisté sur les réseaux sociaux. Nous ne sommes pas naïfs, mais nous sommes opposés à la politique de nettoyage social menée par la commune dans le quartier, cela ne va rien résoudre. Le Parvis n’est plus dévolu aujourd’hui qu’aux cafés et restaurants, il n’y a plus d’autres fonctions sur la place », dénonce-t-il.
Bart Lemmens, qui connaît bien la place pour y tenir depuis plus de 20 ans la fameuse Brasserie de “l’Union”, est le seul cafetier présent. Il s’insurge : « La plupart des riverains qui prennent la parole n’habitent pas sur le Parvis et ne peuvent donc pas savoir ce qui s’y passe, alors que nous le vivons au quotidien. La commune agit sur le plan social, il est faux de dire qu’elle ne prend pas à bars le corps les problèmes sociaux. » Mais cela ne peut suffire, continue-t-il. « La dizaine de délinquants en état d’ébriété qui posent problème, qui agressent continuellement les serveuses, les serveurs, les clients, ce ne sont pas des sans-abri. Et ce sont eux que la commune a finalement, commencé à verbaliser. » Avec des résultats, puisque « cela va déjà un peu mieux. »
Santé mentale
Jean Spinette (PS), échevin de la Prévention, explique les difficultés de prise en charge d’un phénomène qui dépasse largement les frontières et les compétences communales. « La commune investit beaucoup sur le plan humain et matériel pour venir en aide aux publics concernés », assure-t-il. « Il ne s’agit pas ici d’empêcher le vagabondage. Il s’agit de quelques individus violents qui agressent des gens et doivent être écartés de l’espace public, pour être pris en charge, soignés, accompagnés. Nous sommes face à des personnes qui ont des problèmes d’assuétude et de santé mentale, et nous sommes confrontés à un manque de place dans les dispositifs de santé mentale et en centres d’accueil spécialisés. »
Quant à la lenteur de la réaction communale, à l’origine de la grève des cafetiers, Jean Spinette répond comprendre que les commerçants aient eu ce sentiment. Un phénomène nouveau est apparu à l’occasion des troubles sur le Parvis, explique-t-il : « À côté des populations fragilisées et en détresse que nous avons l’habitude de côtoyer, se sont ajoutés quelques individus qui ont commis des actes particulièrement violents, dont certains relèvent de la justice pénale, ce qui n’était pas le cas auparavant. »
En outre, les forces de polices envoyées en intervention ont été confrontées à une réaction d’opposition de citoyens saint-gillois et usagers des terrasses, « qui se sont insurgés contre la police et la légitimité de son action. Cela met à mal l’action de la police », explique l’élu. Conséquence : mise en cause dans sa légitimité, et dans un contexte où les conditions d’intervention ne sont pas garanties, la police n’est plus intervenue.
Quelle solution ?
Plusieurs intervenants ont appellé à une réunion de tous les responsables liés à ce dossier : commune, mais aussi Cocom, ministres de la Santé, bruxellois (Alain Maron – Ecolo), et fédéral (Frank Vandenbroucke – Vooruit). « Nous avons pu nous écouter et nous parler, c’est déjà une réussite », commente Manuel Abramowicz, qui conclut : « Ce n’est effectivement pas au niveau communal que les choses vont se résoudre. La commune doit maintenant aller, main dans la main avec les riverains et les commerçants, vers les pouvoirs compétents à d’autres niveaux. La question dépasse le seul cas du Parvis de Saint-Gilles. ».
S.R. – Photo : Organisateurs