“Ils devraient mieux se renseigner”: des membres de l’ULB et la VUB critiquent des propos de leurs recteurs sur l’antisémitisme

Montage Logos ULB VUB - Belga Benoit Doppagne

“Antisionisme et antisémitisme sont deux choses bien distinctes”, ont souligné le groupe estudiantin VUB Palestine Solidarity Network et le collectif “University workers for Palestine”, qui réunit des enseignants, chercheurs et autres membres du personnel de l’ULB. Plus de 300 universitaires, dont 280 liés à la Vrije Universiteit Brussel (VUB) et/ou à l’Université libre de Bruxelles (ULB) ont signé cette lettre ouverte publiée lundi sur le site d’information néerlandophone Apache, en réaction à des propos tenus par les recteurs des deux institutions la semaine dernière.

Dans une publication Facebook partagée le 10 novembre, la rectrice de l’ULB Annemie Schaus revenait sur les heurts survenus à Amsterdam en marge d’un match de football entre l’Ajax et le Macabbi Tel-Aviv. Les fans de l’équipe israélienne s’étaient illustrés avant la rencontre en entonnant des chants anti-arabes et en brûlant un drapeau palestinien sur la place centrale du Dam. Après le match, des supporteurs israéliens avaient été pourchassés et violentés dans les rues de la capitale néerlandaise. “Les récents événements d’Amsterdam, guidés par un antisémitisme virulent grossièrement maquillé derrière le cache-sexe de l’antisionisme, ont alimenté cette vague qui ne cesse d’enfler : celle de l’antisémitisme qui revient, décomplexé, de plus en plus violent”, écrivait la rectrice. De son côté, le recteur de la VUB Jan Danckaert voyait dans “les incidents survenus à Amsterdam et quelques témoignages de soutien ici à Bruxelles” une “hausse inquiétante des comportements ouvertement antisémites, sous couvert de critiquer Israël”. “Des slogans comme ‘pas de quartier pour les sionistes, pas de sionistes dans nos quartiers’ ne sont pas des formules innocentes. Elles constituent un appel direct à la violence contre la communauté juive.”

“L’antisionisme n’est pas la même chose que l’antisémitisme”

Ces prises de position sont mal passées auprès des associations de soutien à la cause palestinienne. L’antisionisme n’est pas la même chose que l’antisémitisme, rappellent-elles. L’antisionisme est en général défini comme l’opposition au sionisme, un mouvement politique qui émerge à la fin du 19e siècle et vise à établir une nation juive en “Terre d’Israël”, considérée comme le berceau du peuple juif, et qui correspondait alors géographiquement à la Palestine. L’antisémitisme, lui, recouvre le racisme exprimé à l’égard des Juifs et leur persécution.

“Les recteurs devraient mieux se renseigner avant de faire ce genre de déclarations. Et s’ils ne comprennent véritablement pas la différence entre antisionisme et antisémitisme, il semble que cela vienne du manque d’attention institutionnelle accordée à la recherche sur le racisme”, écrivent, cinglants, le VUB Palestine Solidarity Network et University workers for Palestine.

Encore méconnu, ce collectif de travailleurs et travailleuses de l’ULB s’est formé en octobre pour apporter son soutien aux étudiants du mouvement pro-palestinien baptisé “Université populaire de Bruxelles”. Ces professeurs et scientifiques s’opposent “à la destruction systématique par Israël de la quasi-totalité des infrastructures publiques” et soulignent que “la guerre génocidaire en cours contre les Palestiniens et Palestiniennes est enracinée dans un siècle d’impérialisme, de colonialisme de peuplement, d’occupation militaire et d’apartheid”. “Il y a des bibliothèques pleines d’ouvrages sur la distinction entre l’antisémitisme et l’antisionisme, ainsi que sur le recours délibéré aux allégations d’antisémitisme pour légitimer une ethno-société et étouffer les critiques à son encontre”, poursuit la lettre ouverte.

“Encore une fois et par souci de clarté: l’antisémitisme est répréhensible et punissable parce qu’il s’agit d’une ‘discrimination, de préjugés, d’une haine ou de violence à l’égard des Juifs parce qu’ils sont Juifs'”, ajoutent les signataires, citant la Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme (JDA). Le sionisme, lui, relève de l’idéologie et entend fonder un État qui place les droits des Juifs au-dessus de ceux des non-Juifs, complètent-ils.

“Considérer la communauté juive comme un groupe homogène qui soutiendrait unanimement Israël relève de la généralisation, elle-même antisémite et historiquement erronée et qui, de surcroît, mène réellement à la minimisation d’un véritable antisémitisme”, selon les universitaires des deux alma-maters, rejoints par des signataires d’autres institutions (UCLouvain, KU Leuven, UMons, UGent,…). “Au lieu de réagir impulsivement à des événements via les réseaux sociaux (…), les recteurs devraient plutôt – en tant que dirigeants d’une communauté académique – mener ces débats avec savoir et nuance, et un examen conscient de leurs mots. Car les mots ont de l’importance.” La lettre ouverte déplore également ce qu’elle juge comme des commentaires partiaux d’Annemie Schaus et Jan Danckaert. “S’ils souhaitent s’exprimer sur les incidents à Amsterdam, pourquoi garder sous silence les exactions des hooligans du Maccabi?”, s’interroge-t-elle. En confondant les critiques adressées à la politique du gouvernement israélien avec de l’antisémitisme, les recteurs des Universités du libre-examen musèlent un “grand groupe d’étudiants et de collaborateurs”.

Face à cette “censure asphyxiante”, “nous n’avons pas d’autre choix que de nous faire entendre encore plus fort contre l’amalgame problématique entre antisionisme et antisémitisme, et pour notre droit (et même notre devoir) à penser de manière critique”, conclut la lettre. Entre-temps, le recteur de la VUB a modifié sa publication sur Facebook pour la “clarifier”, mais campe sur ses positions. “Cette réaction relève d’une étrange lecture du message du recteur”, a commenté son porte-parole. Selon ce dernier, Jan Danckaert a dénoncé “la violence disproportionnée (menée par le gouvernement Netanyahu, NDLR) à Gaza, au Liban et en Cisjordanie”. “Mais critiquer la politique d’Israël ne permet pas de franchir les limites. Nous comprenons très bien la différence entre antisémitisme et antisionisme. Critiquer le sionisme est tout à fait légitime ; il faut néanmoins prêter attention à ne pas glisser vers un appel à la violence envers les Juifs.”

Avec Belga