Formation bruxelloise : cinq pistes pour sortir de l’impasse

Huit mois après les élections régionales, les Bruxellois attendent toujours un gouvernement de plein exercice. Neuf universitaires de l’UCL, l’ULB, la KUL, la VUB et l’UCL Saint-Louis Bruxelles proposent des alternatives à une formation classique de gouvernement pour sortir du blocage.

Cinq scénarios sont avancés pour sortir Bruxelles de la crise, au moins temporairement. Ces pistes de réflexions ont été transmises aux informateurs Christophe De Beukelaer et Elke Van den Brandt.

Reportage de Michel Geyer, Gauthier Flahaux et Stéphanie Mira

1. Un gouvernement d’union régionale

Un scénario qui inclut tous les partis démocratiques. L’entièreté des formations politiques francophones et néerlandophones, à l’exception du Vlaams Belang pour respecter le cordon sanitaire. Il n’est évidemment pas question ici de former un gouvernement classique. L’idée est que les partis partagent le constat d’un péril imminent sur les finances publiques bruxelloises et s’accordent a minima sur un accord budgétaire.

Une solution qui paraît compliquée, car il est déjà difficile de trouver une coalition qui recueille une majorité. Difficile d’imaginer les 13 formations politiques (en enlevant le Vlaams Belang) qui composent le parlement bruxellois s’entendre sur ce scénario. “Il faut que tous les partis partagent ce constat et il faut aussi qu’ils se mettent d’accord sur les solutions à apporter à cette crise-là.” explique Guillaume Delvaux, un des auteurs du rapport. Un scénario optimiste, car il faudrait que les partis mettent de côté toutes leurs divergences politiques le temps de sortir de la crise.

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2. Une solution citoyenne : l’activation des commissions délibératives

Une autre solution temporaire à l’absence de gouvernement serait l’activation des commissions délibératives. Impossible évidemment, dans ce cas-là, de former un gouvernement uniquement sur base de la participation citoyenne mais cela pourrait faire évoluer des points de blocages précis.

Selon les universitaires, elle présenterait deux avantages : les négociateurs pourraient décider que les points de désaccord entre partis seraient délégués à un panel de citoyens dans une commission délibérative. Les experts insistent sur le fait que cela ne peut se faire que sur certains points bien précis, il est impossible, par exemple, de déléguer le budget à un panel citoyen. L’autre avantage de ces commissions délibératives est qu’elles pourraient rapprocher les citoyens de leurs représentants.

Au niveau de son fonctionnement, les commissions délibératives sont des lieux de débat composés de trois quarts de citoyens et d’un quart de parlementaires. Chaque commission traite d’une matière bien spécifique, proposée par des Bruxellois ou par des parlementaires. Cette commission émet ensuite des recommandations au Parlement et au gouvernement bruxellois. En ce moment, il existe par exemple des assemblées sur la 5G à Bruxelles, le sans-abrisme ou encore le bruit en milieu urbain.

3. Un gouvernement technique

Dans cette piste, l’exécutif serait dépolitisé. Le gouvernement serait composé de personnes issues du monde académique, de l’administratio

n ou de la société civile, chacun expert dans son domaine de compétence. Un scénario qui a l’avantage de contourner les vétos et les exclusives entre les différents partis.

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C’est une piste empruntée à d’autres pays. Elle avait été évoquée en France pour sortir de la crise parlementaire à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale. Le cas le plus proche et le plus récent est le gouvernement italien de Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne, investi à la tête du gouvernement italien en février 2021. C’est après de longues semaines de crises politiques et économiques liées au COVID-19 que cette solution avait été mise en place pour rassurer les marchés et permettre à l’Italie de se stabiliser politiquement entre février 2021 et octobre 2022.

4. Un gouvernement de crise

Une variante du scénario du gouvernement technique serait un gouvernement de crise conseillé par des experts. L’exécutif se limiterait alors à la gestion des crises et agirait sous les conseils d’experts pour orienter ses décisions. C’est un scénario que l’on a vécu au niveau fédéral lors de la pandémie de COVID-19, cette piste ayant amené à la formation du gouvernement de Sophie Wilmès.

Difficile toutefois de transposer cette piste à la situation bruxelloise actuelle, qui n’est pas comparable avec la crise sanitaire du COVID-19.

5. Un gouvernement minoritaire

Les gouvernements minoritaires sont rares en Belgique, bien qu’on ait toutefois un cas récent : le gouvernement de Sophie Wilmès, composé de seulement trois partis représentant 38 députés sur 150 au Parlement. Mais, comme dit plus tôt, ce gouvernement avait un champ d’action limité à la gestion de la crise.

C’est une piste plus difficilement praticable au niveau des entités fédérées. Pour qu’un gouvernement soit mis en place au niveau bruxellois, il doit être élu par une majorité du Parlement, sans possibilité d’abstention (contrairement au fédéral). Autre obstacle : un gouvernement bruxellois ne peut être renversé que par une motion de méfiance constructive, c’est-à-dire une motion où le gouvernement tombe pour en mettre en place un nouveau.

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Il serait donc impossible de faire tomber ce gouvernement sans alternative majoritaire. Il faudrait que des partis accordent leur confiance à un gouvernement sans y participer et sans pouvoir le faire tomber à tout moment.

Si rien n’est mis en place : la mise sous tutelle

C’est le scénario qui pourrait s’imposer en cas de blocage persistant. “C’est le scénario catastrophe. Cela pourrait par exemple arriver si la situation budgétaire se dégrade encore plus, que l’on arrive à une crise des liquidités et que la Région ne puisse plus emprunter sur les marchés financiers. Elle n’aurait alors pas d’autre choix que de se tourner vers d’autres niveaux de pouvoir, vraisemblablement le fédéral.”

Si le fédéral prête de l’argent à la Région bruxelloise, il pourra poser ses conditions pour l’utilisation de cet argent.

Les solutions citées ci-dessus sont justement des pistes pour éviter cette situation et permettre à Bruxelles de conserver son autonomie. Les universitaires insistent bien dans leur rapport sur le fait que “ces différents scénarios paraissent, sur le plan des principes comme sur le plan pratique, nettement moins souhaitables qu’un gouvernement classique de plein exercice.”

Rémy Rucquoi