Châtelain et Van Meenen vont s’ajouter à la liste des places publiques piétonnisées
Quel est le point commun entre les places Jourdan, Flagey, Miroir, ou Bockstael ? Après avoir été des années durant des parkings à ciel ouvert, ces places publiques ont été rénovées et piétonnisées. Les places du Châtelain à Ixelles et Van Meenen à Saint-Gilles s’apprêtent à suivre le même chemin. Une tendance de fond, qui s’inscrit dans le temps.
Le centre de la place du Châtelain, à Ixelles, cet espace rectangulaire entre les rues du Page, du Bailly et l’avenue Louise, connue pour son marché du mercredi après-midi, est depuis des années ni plus ni moins qu’un parking. Mais son avenir proche s’écrit sans voiture. Profitant d’interventions programmées par Vivaqua sur le réseau d’égouttage, la commune a décidé de rénover la place et de la transformer en un espace plus qualitatif. Elle en avait besoin. « Cette place est dysfonctionnelle, continuellement encombrée de voitures, inaccessible en son centre et peu accessible aux personnes à mobilité réduite. », explique l’échevin ixellois des Travaux, Romain De Reusme (PS). L’idée est de verduriser côté Louise et aménager un espace pour activités polyvalentes de l’autre côté. Les véhicules disparaîtront du cœur de la place. Le stationnement restera autorisé le long de celle-ci.
Valoriser l’espace public
Il s’agit là de l’un des projets phares de la législature. Pour l’élaborer, la commune a mené une vaste consultation citoyenne, en deux étapes (2000 personnes – usagers de la place, commerçants, habitants – ont été consultées lors de la première), afin d’en tracer les grands principes. Ceux-ci ont été soumis à cinq bureaux d’étude. Le projet lauréat devrait être connu d’ici fin 2021-début 2022. La commune table pour un permis d’urbanisme en 2023 et une nouvelle place du Châtelain en 2024.
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À quelques encablures, dans la commune voisine, la place Van Meenen devrait connaître le même sort. Cet espace situé face à la maison communale de Saint-Gilles, où les voitures règnent en maître depuis des années, sera piéton en 2023, assure l’échevine de la Mobilité, Catherine Morenville (Ecolo). 50 places de parking devraient ainsi disparaître. Objectif : transformer l’espace au bénéfice de toutes et tous et le rendre plus convivial. Ici aussi un large processus participatif a été organisé, pour réfléchir au futur du site. Selon l’échevine, si les habitants de la place qui l’utilisent comme parking sont défavorables à la suppression du stationnement, deux tiers des personnes consultées sont pour. La consultation a aussi révélé que 67% des gens qui fréquentent le site y viennent à pied ou à vélo, contre 15% seulement en voiture. La commune cherche désormais un bureau d’étude pour réaliser un projet de réaménagement. Un appel à candidature a été lancé. Le début des travaux est attendu pour 2023.
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Observée à l’échelle de la région, il est désormais évident que la suppression du stationnement au profit d’une valorisation de l’espace public et d’aménagements plus qualitatifs constitue bien une tendance de fond. « Avoir des places publiques envahies par des voitures, ce n’est plus du tout à l’ordre du jour. On a besoin d’espaces partagés, il faut en finir avec les espaces privatisés. », réagit Michel Hubert, sociologue et professeur à Saint-Louis.
Tensions
Le mouvement s’amorce au tournant des années 2000. À l’époque, les réflexions sur la piétonnisation prennent de l’ampleur et se traduiront progressivement sur le terrain. Les places Flagey à Ixelles, puis Rogier se libèrent des voitures qui les occupaient. Elles seront suivies par d’autres : la place communale de Molenbeek, la place du Miroir à Jette, ou plus récemment les places Fernand Coq, à Ixelles, Jourdan à Etterbeek et dernièrement la place Bockstael, inaugurée il y a quelques mois. Pour autant, toutes ces transformations ne se font pas toujours dans l’harmonie, loin de là. La suppression du parking sur la place Jourdan a fait l’objet d’ardents débats. Et plusieurs places réaménagées ont conservé du stationnement, comme la place Schweitzer, à Berchem-Sainte-Agathe. « La suppression du stationnement n’est pas toujours possible, cela dépend de la situation de la zone visée et des alternatives à la circulation automobile. », explique Inge Paemen, porte-parole de Bruxelles Mobilité.
La « nouvelle » place Dumon à Woluwe-Saint-Pierre a, elle aussi, maintenu en son centre une quarantaine de places de parkings. Pour Michel Hubert, c’est souvent le cas dans les quartiers à haut revenus, où les propriétaires de voiture sont plus nombreux. Une étude de l’IBSA (l’Institut bruxellois de statistiques et d’analyses) montre que le taux de motorisation des ménages bruxellois est fortement lié à leur niveau socio-économique.
Tendance de fond
« La question du stationnement est toujours difficile. », ajoute Xavier Tackoen, du bureau d’étude Espaces-Mobilités. « C’est difficile à faire accepter, mais c’est nécessaire. Le stationnement ce n’est pas de la mobilité. » Le cas de la place Van Meenen en est une nouvelle illustration. Fruit d’un compromis, le principe du piétonnier n’a été acquis qu’en échange d’une compensation : une vingtaine de places de parkings seront maintenues, dans un premier temps en tout cas. Dans certains cas, le projet finit aux oubliettes. Ainsi le projet de suppression de places de stationnement sur la place du Sablon avait suscité une levée de bouclier des commerçants. Il n’est plus à l’ordre du jour. « Il est évident que c’est loin d’être des négociations faciles, mais on constate qu’une fois que c’est fait, il n’y a pas de volonté de revenir en arrière. », note Antoine De Borman, directeur de perspective.brussels. La stratégie régionale globale va dans cette direction, poursuit-il, portée par le plan région de développement durable et le plan Good Move.
Pour autant, il ne suffit pas d’enlever du stationnement pour créer un espace de qualité. « Il n’y a pas que la fonction déambulatoire ou de mobilité qui est en jeu. », insiste Xavier Tackoen. « Dans les années 60, la plupart de nos places ont été transformées en espace de circulation. Aujourd’hui, ce qui est au cœur de la réflexion urbaine, c’est de rendre à ces lieux leurs rôles de séjour et d’en faire de véritables espaces publics. Et le renouveau est là. » Nous ne sommes plus dans une approche fonctionnelle, mais bien dans une réflexion large sur la diversité des usages, les fonctions récréatives, culturelles, etc.
D’ailleurs, la conception des espaces a fortement évolué depuis le réaménagement de Flagey, qui a gardé ses quatre voiries circulatoires. L’urbanisme actuel travaille davantage sur les concepts d’espaces partagés et apaisés, avec au moins un des côtés de la place aménagé de telle sorte que les piétons soient en lien avec le bâti, comme sur les places du Miroir, Jourdan ou sur la place communale de Molenbeek où le principe est poussé encore plus loin.
Bruxelles a longtemps été en retard comparées à ses voisines flamandes, mais aussi à des villes de tailles comparables en France, en Allemagne, en Suisse, où la requalification urbaine allait de pair bien souvent avec des évolutions de mobilité, comme la tramification. Mais Bruxelles se rattrape, observe Michel Hubert. La plupart des grandes places ont suivi ce chemin, selon Xavier Tackoen. Il faut maintenant s’attaquer à une échelle plus locale, voire beaucoup plus fine, travailler sur de plus petits espaces, des squares. Et surtout envisager les liaisons entre ces espaces éparpillés, de manière à créer une trame, un parcours de qualité qui arpente toute la région, conclut-il.
S.R.